L’accessibilité du web aux personnes déficientes visuelles

L'essentiel

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  • Description : Comment une personne handicapée visuelle accède-t’elle à un site internet et comment peut-on définir un contenu dit accessible ? Quelles sont les directives à suivre pour concevoir des contenus Web répondant aux normes d’accessibilité ? Bref état des lieux et perspectives. »  

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Par Jean-Pierre CARPANINI et Christian COUDERT - Centre d’Évaluation et de Recherche sur les Technologies pour Aveugles et Malvoyants (CERTAM) Paris - France - (http://www.certam-avh.com) Association Valentin Haüy (www.avh.asso.fr).

Pour accéder à l’information affichée sur un écran, la personne aveugle utilise un logiciel dit « lecteur d’écran » ou de « revue d’écran » qui retourne le texte affiché sous forme de messages prononcés par un synthétiseur vocal et, si elle dispose de ce type de matériel, sous forme de caractères qui apparaissent sur des cellules piézoélectriques d’un afficheur braille.

La personne malvoyante, quant à elle, a souvent recours à la personnalisation des options d’affichage de son système d’exploitation – options d’ergonomie sous Windows - ou, lorsque sa capacité visuelle résiduelle le nécessite, d’un système d’agrandissement de caractères avec ou sans lecteur d’écran intégré.

Dans tous les cas, l’information affichée sur l’écran n’est pas perçue dans sa globalité, mais parcourue soit séquentiellement avec un lecteur d’écran (par mot, par ligne, par phrase ou paragraphe…), soit de façon fractionnée avec un logiciel d’agrandissement (qui affiche une fenêtre dans laquelle la quantité d’information est inversement proportionnelle au taux d’agrandissement utilisé).

Mais pour qu’une personne déficiente visuelle puisse accéder aux contenus numériques, les consulter et les manipuler quantitativement et qualitativement d’une manière aussi proche que possible d’une personne valide, encore faut-il que ces contenus soient présentés sous une forme accessible, c’est-à-dire qu’ils soient conçus dans le strict respect de directives d’accessibilité.

Qu’entend-on par contenu numérique ?

Dans le cadre de cet article traitant exclusivement de l’accessibilité du Web, le terme «contenu numérique» désigne l’ensemble des informations transmises à l’utilisateur transitant par le réseau mondial internet et par extension via des sites de type intranet qui utilisent les mêmes technologies.

Qu’est-ce que l’accessibilité ?

La notion d'accessibilité numérique est apparue dès l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication et plus particulièrement avec l'Internet.

Le problème ne réside pas dans l’accès à l’informatique (en France, selon certaines études, les personnes handicapées visuelles seraient deux fois plus équipées en ordinateur que la moyenne nationale) mais réellement dans l’utilisation du Web : les sites Web que ces personnes visitent ne sont pas toujours adaptés aux dispositifs d'assistance qu'elles utilisent ou n'incluent aucune caractéristique d'accessibilité, même élémentaire. L’accessibilité, de quoi s’agit-il ?

Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web Consortium (W3C), donne cette définition de l’accessibilité du web :

"Mettre le Web et ses services à la disposition de tous les individus, quel que soit leur matériel ou logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique, ou leurs aptitudes physiques ou mentales".

L’accessibilité numérique correspond à un champ de prescriptions techniques prenant en compte la diversité de ces besoins et très particulièrement l’ensemble des aspects qui peuvent constituer un obstacle pour des personnes handicapées.

Lorsque l'information Web est conçue et réalisée pour être accessible aux personnes handicapées, les sites résultants s’en trouvent généralement construits de manière plus logique et mettent l'accent sur le contenu plutôt que sur la fourniture d'information. Les frais de maintenance s’en trouvent d’autant réduits.

Valider un site en respectant des normes, à condition que les contenus soient pertinents, augmente significativement son référencement par les moteurs de recherche.

Les sites accessibles deviennent utilisables à partir d'ordinateurs d’entrée de gamme disposant de connexions Internet plus lentes ; de plus, leur portabilité sur l’ensemble des supports d’affichage tels qu’un téléphone mobile avec accès Internet ou un assistant numérique personnel s’en trouve améliorée.

Ne pas rendre un site web accessible, c’est, potentiellement, exclure des millions de personnes non ou très malvoyantes, c’est opérer – par volonté ou par méconnaissance – une certaine discrimination à leur égard, c’est leur interdire l’accès à l’information et à la culture, c’est les priver d’une grande part de leur autonomie puisqu’elles n’auront pas la possibilité – ou l’auront mais dans des conditions très difficiles – d’accéder notamment aux services de leur banque, à leurs journaux préférés en ligne, aux ressources médicales les concernant, aux sites marchands et à leurs services de livraison à domicile, etc.…

L’accessibilité numérique garantit un accès égal pour tous, mais contribue également à la qualité générale des services, de leur ergonomie et de leur facilité d’utilisation. Elle bénéficie donc à tous.

Des prescriptions techniques concernant l’accessibilité numérique du web ont été définies et compilées sous formes de directives. Celles-ci ont évolué, notamment depuis l’émergence du Web 2.0, une technologie qui met l’accent sur des contenus dynamiques interactifs plutôt que sur des contenus statiques essentiellement informatifs.

Les directives d’accessibilité du web : WCAG

En mai 1999, le Web Accessibility Initiative (WAI), groupe de travail fondé par le World Wide Web Consortium (W3C), publie une première version de ses directives d’accessibilité du web, connues sous le nom de WCAG (Web Content Accessibility Guidelines, http://www.w3.org/WAI/).

Une seconde version de ce document, les WCAG 2.0, a été publiée en décembre 2008. La présentation des règles, disponible en français à l’adresse http://www.w3.org/Translations/WCAG20-fr/ , mentionne :

« Les Règles pour l'accessibilité des contenus Web (WCAG) 2.0 présentent un large éventail de recommandations pour rendre les contenus Web plus accessibles. Suivre ces règles rendra les contenus accessibles à une plus grande variété de personnes en situation de handicap, incluant les personnes aveugles et malvoyantes, les personnes sourdes et malentendantes, les personnes ayant des troubles d'apprentissage, des limitations cognitives, des limitations motrices, des limitations de la parole, de la photosensibilité et les personnes ayant une combinaison de ces limitations fonctionnelles. Suivre ces règles rendra aussi les contenus Web souvent plus faciles d'utilisation aux utilisateurs en général ».

Écrites à l’attention de tous les créateurs de contenu pour le Web (auteurs de pages et concepteurs de sites) et des développeurs d’outils de création de contenu, ces directives sont aujourd’hui généralement considérées comme des guides de référence pour la création de pages Web accessibles. Elles ont été reconnues par la plupart des pays, dont la France dès 1999. Elles ont été reconnues par l'Europe en 2002.

Comme l'indique l'article de Wikipedia qui est consacré à ce thème (http://fr.wikipedia.org/wiki/WCAG#WCAG_2.0) :
WCAG2.0 adopte une approche thématique plus rigoureuse en structurant 12 directives principales selon 4 principes fondamentaux :

1 Des contenus perceptibles :

« fournir des alternatives textuelles à tous les contenus non textuels, de sorte qu'ils puissent être adaptés sous une forme répondant aux besoins des utilisateurs ».

L’intérêt des alternatives textuelles est de permettre une description d’un élément graphique – image, illustration, Captcha, expérience sensorielle, etc.- par un texte qui, de par la neutralité de sa présentation, peut être perçu vocalement, tactilement ou en taille agrandie par un utilisateur déficient visuel ;

« fournir des alternatives synchronisées aux média synchronisés ».

C’est permettre l’identification, l’utilisation et l’interprétation d’un média comme une vidéo par une description textuelle ou une audiodescription ;

« créer du contenu qui puisse être mis en forme de différentes manières sans perte d'information ou de structure ».

Pour que des contenus puissent être interprétés par un programme informatique tel qu’un lecteur d’écran et préserver une bonne compréhension du texte, il convient de respecter un ordre de lecture séquentiel logique. C’est aussi éviter qu’une instruction d’utilisation soit identifiable uniquement par sa forme ou sa localisation ;

• « permettre aux utilisateurs de voir et d'entendre plus facilement le contenu, notamment en séparant avant-plan et arrière-plan ».

Il s’agit de séparer l’information de sa présentation en utilisant par exemple la technologie des feuilles de style CSS (Cascading style sheet), offrant ainsi des alternatives adaptées aux personnes déficientes visuelles : mise en page, polices et tailles de caractères plus lisibles, contrastes améliorés, contrôle du volume pour ne pas interférer avec un synthétiseur vocal piloté par un lecteur d’écran, … ;

2 Des contenus utilisables :

« rendre toutes les fonctionnalités utilisables au clavier ».

Pour les usagers déficients visuels, il peut s’agir de s’assurer de l’existence de commandes utilisables au clavier et non pas exclusivement au moyen de la souris, d’en informer l’utilisateur et de fournir des commandes alternatives pour tout usage non standard du clavier ;

« garantir aux utilisateurs handicapés un temps suffisant pour comprendre et utiliser le contenu ».

Parce que la prise de connaissance d’un contenu peut être plus lente par l’utilisation d’une technologie d’assistance, les limites de délais d’affichage doivent être supprimées ou pouvoir être contrôlées ;

« ne pas mettre en forme le contenu d'une manière connue comme entraînant des dommages ».

Ce critère vise essentiellement à éviter une crise d’épilepsie pouvant être provoquée par la présence de tout élément flashant sur une page Web ;

 • « fournir des aides aux utilisateurs handicapés pour naviguer, rechercher du contenu et se situer dans ceux-ci ».

Ici l’objectif est de permettre aux utilisateurs de se situer sur une page web et de pouvoir se déplacer sur l’ensemble des contenus. Pour les personnes déficientes visuels ayant recours à un lecteur d’écran, et qui accèdent à l’information de façon linéaire par le biais d’une synthèse vocale, cela implique plusieurs critères : respect d’une présentation linéaire de l’information, contournement des contenus répétitifs, titrage des pages, fourniture de liens accessibles et explicites, souci de visibilité du focus, etc. ;

3 Des contenus compréhensibles :

« fournir des textes lisibles et compréhensibles ».

Pour les personnes malvoyantes, ce critère invite à rendre les textes plus visibles en évitant une justification du texte, l’utilisation de l’attribut italique, un trop grand nombre de styles ou de polices de caractères, en préconisant une distinction visible des liens, en adaptant la largeur des colonnes pour limiter les déplacements horizontaux lorsque le texte est agrandi, etc.

Dans le cas d’une lecture audio par synthèse vocale, l’usage de balises d’identification de la langue déclenchera automatiquement le changement de synthèse vocale en fonction de la langue ; dans le même but, on recommande la mise en place de mécanismes pour une prononciation correcte de termes phonétiquement ambigus ou d’abréviations... ;

• « Permettre aux pages Web d'apparaître et de se comporter de manière prévisible ».

Il s’agit ici d’empêcher toute modification intempestive du contexte par déplacement du focus ou saisie clavier pouvant nuire à une représentation spatiale du contenu – ouverture d’une fenêtre Pop-up, réactualisation de page non contrôlée par l’utilisateur, etc. - ;

 • « Aider les utilisateurs à éviter des erreurs et à les rectifier ».

Parce que l’utilisation d’un site peut avoir des conséquences importantes – commande sur un site marchand par exemple –, tous les moyens d’identification et de correction des erreurs de saisie doivent être prévus (réversibilité, vérifications, confirmation) ;

4 Des contenus robustes :

« optimiser la compatibilité avec les agents utilisateurs actuels et futurs, y compris les technologies d'assistance ».

L’évolution des technologies du Web étant souvent plus rapide que celle des aides techniques, il est nécessaire que les contenus restent conformes au standard pour pouvoir, sans être mis en échec, interagir et être reconnus avec des outils tels que les lecteurs d’écran ou les logiciels d’agrandissement.

Les WCAG inclus des tests qui permettent la validation d’une liste de critères pour évaluer l’accessibilité des contenus Web et en déterminer ainsi un niveau de conformité défini par les lettres A, AA ou AAA. La faisabilité est désormais prise en compte. Le W3C recommande comme objectif minimal le niveau AA pour l’ensemble des sites.

Quelques aspects de la législation européenne

La France est engagée depuis 1999 dans une série d’actions visant à favoriser l’accessibilité de l’internet aux personnes en situation de handicap. Après la publication, en 2004, d’un premier Référentiel sur l’accessibilité, un nouveau document reprenant l’essentiel des WCAG 2.0 voit le jour en octobre 2009, le « Référentiel Général d’Accessibilité de l’Administration » (RGAA, http://www.references.modernisation.gouv.fr/rgaa-accessibilite).
En Europe, d’autres pays se sont également inspirés des WCAG pour définir leurs propres directives (UNE 139803 pour l’Espagne (http://www.en.aenor.es/aenor/normas/normas/fichanorma.asp?tipo=N&codigo=N0032576), BITV conformance requirements pour l’Allemagne (http://www.bitvtest.de/bitvtest/das_testverfahren_im_detail/pruefschritte.html ), BSI 8878 pour le Royaume Uni, etc.

L’accessibilité en pratique

L’utilisation de sites internet par une personne déficiente visuelle ne dépend pas seulement de la volonté des professionnels du Web - concepteurs, développeurs ou donneurs d’ordre - de créer des contenus respectant les directives d’accessibilité internationales (WCAG) ou nationales (RGAA, BSI…). Agir sur des contenus est un pré-requis indispensable, mais d’autres facteurs interviennent, parmi lesquels :

- La compatibilité des systèmes d’exploitation et des navigateurs Web avec les outils d’accessibilité que sont les lecteurs d’écran, les dispositifs braille ou les logiciels d’agrandissement ;
- Le niveau de performance offert par les outils d’accessibilité pour interpréter les données numériques du Web ;

- La nature des dispositifs connexes sollicités pour la lecture de contenus externes (lecteurs de média, lecteurs de fichiers, etc.) ;

- Le format des fichiers utilisé pour les documents en ligne (fichiers de type PDF « image » ou « texte », animations flash, etc.) ;

- Les outils d’édition de contenus (éditeur HTML, XML, CMS, etc.).
Enfin, pour qu’un contenu puisse être consulté par le plus grand nombre, il peut être important de prendre en compte les capacités et l’expérience de l’usager en situation de handicap.

L’accessibilité, bilan et enjeux pour demain

Une fois les conditions réunies, à savoir des contenus web répondant aux normes, un ensemble logiciel et matériel adapté pour interpréter et utiliser les données, des utilisateurs suffisamment formés, l’accès aux sites Web devient pour la personne handicapée un vecteur important pour son insertion professionnelle et son autonomie.

De nouvelles possibilités d’accès à la culture et aux loisirs s’offrent à elle.

En outre, ce formidable outil de communication que constitue le web contribue à rompre son isolement.

Aujourd’hui, une personne déficiente visuelle peut déjà utiliser certains sites de commerce en ligne pour effectuer des achats, obtenir de l’information sur un horaire de train, une séance de cinéma, des coordonnées personnelles ou professionnelles, …

Malheureusement, si les normes existent en théorie, elles restent insuffisamment utilisées. De plus, les législations en vigueur dans les différents pays sont souvent peu contraignantes (cas du RGAA en France, notamment) et ne concernent souvent que les sites publics de l’État ou des collectivités territoriales.

Ceci est d’autant plus préjudiciable qu’un nombre important de tâches qui nécessitaient auparavant l’aide d’une tierce personne ne peuvent être réalisées que grâce au web :

- Accès et réception de formulaires administratifs,
- Inscription dans des écoles, à des concours…,
- Recherche d’emploi et envoi de CV en ligne,
- Réception de factures, de relevés bancaires…,
- Accès aux médias culturels : livres, films, musiques…

L’utilisation des réseaux sociaux, comme Facebook, Twitter, blogs, etc. ont tendance à prendre une place croissante. L’accessibilité insuffisante de leurs interfaces contraint souvent les utilisateurs d’aides techniques à adopter, quand ils existent, des logiciels de gestion et de consultation alternatifs, même si ces derniers disposent de fonctionnalités moindres.

Avec le développement des programmes et des données délocalisées ou « cloud computing », le web pourrait devenir le principal, voire le seul moyen d’utiliser une application bureautique.

Une accessibilité, même partielle, de ces nouvelles technologies constituerait une régression, tant pour un usage personnel qu’en milieu professionnel où les possibilités d’intégration s’en trouveraient sensiblement réduites.

Le Web, autrefois cantonné à un usage sédentaire essentiellement sur un ordinateur, a bénéficié de l’évolution technologique des matériels et de l’augmentation des débits des liaisons sans fils pour permettre aujourd’hui une utilisation sur des plateformes très diversifiées, qu’elles soient fixes ou mobiles (téléviseurs, Smartphones, tablettes…).

Ces dispositifs intègrent des systèmes et des logiciels plus ou moins adaptés pour une utilisation par les personnes aveugles ou malvoyantes.

Le clavier n’est également plus le seul moyen d’interaction avec des contenus Web.

Les traditionnelles commandes au clavier risquent d’être négligées de plus en plus, tandis que d’autres méthodes sans alternatives semblent surgir (écrans tactiles, commandes vocales, reconnaissance de mouvement, etc.). En fonction du produit et de la technologie utilisée, qu’adviendra-t-il de l’accessibilité au web à l’aide de ces futurs matériels et logiciels pour les personnes non ou malvoyantes ?

Face à ces enjeux, un cadre législatif plaçant l’accessibilité et la conception universelle au centre des débats serait une forte incitation vers une meilleure prise en compte de l’accessibilité des contenus du web.

Un espoir s’est fait jour récemment aux États-Unis avec la signature par le Président Barack Obama, le 8 octobre 2010, d’une Loi venant amender l’ADA (Americans with disabilities Act :

http://markey.house.gov/index.php?option=content&task=view&id=4106&Itemid=125

Avec différentes échéances, les concepteurs de matériels, logiciels et services devront dorénavant prendre en compte l’accès aux contenus du Web par les personnes aveugles ou malvoyantes au travers d’interfaces utilisateur telles que les Smartphones.