Accessibilité numérique : la consternante apathie de nombreux organismes publics (2)

L'essentiel

Test de contraste sur le site BPI France
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  • Dans un premier article, nous avons commencé notre constat sur l’accessibilité des services de communication au public en ligne de seize organismes publics emblématiques par des rappels sur ce qu’est l’accessibilité numérique et sur les textes de référence. Nous poursuivons aujourd’hui avec une description de notre démarche de test et le relevé des défauts d’accessibilité constatés d’une part sur les sites Web, d’autre part dans les publications faites sur les réseaux sociaux.

Démarche de test

Organismes testés

Seize organismes publics emblématiques ont été retenus ; ils sont cités dans l’ordre chronologique des tests :

  • Gouvernement (SIG)
  • Groupe Caisse des dépôts, incluant la CDC elle-même, la Banque des Territoires, CDC Retraites et solidarité et BPI France
  • Conseil d'État
  • Secrétariat d’État chargé des personnes handicapées
  • Ministère de la Culture
  • Défenseure des droits
  • Élysée
  • Ministère de l'Intérieur
  • Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance (MEFR)
  • Direction interministérielle du numérique (DINUM)
  • Assemblée nationale
  • Assurance Maladie (Ameli)
  • Ministère de la Transformation et de la Fonction publiques (MTFP)
  • Direction de l’information légale et administrative (DILA)
  • Conseil national du numérique (CNNum)
  • Cour des comptes

Points testés

Les tests ont porté sur les points suivants ;

  • accessibilité des sites Web
  • accessibilité des publications faites sur les réseaux sociaux
  • respect des obligations déclaratives :
    • mention accessibilité clairement visible en page d’accueil
    • déclaration d’accessibilité
    • schéma pluriannuel de mise en accessibilité
    • plan d’action année en cours
  • réponse au signalement des défauts
  • évolution des pratiques à la suite du signalement des défauts

Défauts d’accessibilité des sites Web

Aucun des sites Web testés n’est totalement accessible (y compris ceux qui se prétendent totalement conformes).

Si tous les sites présentent des défauts, il convient toutefois de préciser que sur certains d’entre eux, on note un réel souci de prise en compte de l’accessibilité. C’est notamment le cas des sites de la Défenseure des droits ou de l’Élysée.

Il est précisé que les tests menés ne présentent aucun caractère d’exhaustivité. Ils sont beaucoup moins complets que ceux menés par les sociétés spécialisées chargées de la réalisation des audits d’accessibilité. 

Les défauts d’accessibilité les plus couramment relevés sont cités ci-après.

Ils concernent pour la plupart le non-respect de critères qui étaient déjà présents dès la première version du RGAA publiée en 2009.

Contrastes de couleurs insuffisants 

Parmi les seize organismes testés, douze présentent ce type de défaut.

Deux cas particuliers méritent d’être relevés :

Le site gouvernement.fr comporte une charte graphique qui contient des dispositions relatives aux couleurs qui en font une machine à produire des défauts d’accessibilité sur l'ensemble des sites Web des services et des opérateurs de l’État.

Cette charte donne certes une recommandation de bon sens « Dans le cas d’une communication basée sur le texte, des teintes claires sont utilisées en fond et des couleurs fortes pour la typographie, favorisant une bonne lisibilité. »

Mais cette recommandation est malheureusement contredite par l’exemple donné qui ne respecte absolument pas le critère 3.2 du RGAA qui exige un contraste minimum de 4,5 (texte normal) ou 3,0 (gros caractères) :

4 exemples de combinaisons couleur de texte/couleur de fond : - 1 à 4,45 Quasi OK pour texte normal, OK pour grand texte. - 1 à 4,2 KO pour texte normal, KO pour grand texte. - 1 à 2,4 KO pour texte normal et grand texte. - 1 à 2,5 KO pour texte normal et grand texte.

Sur de nombreuses pages du site de Bpifrance on trouve du texte blanc sur fond jaune. L’esthétique est contestable, mais l’accessibilité est indubitablement détestable avec un contraste de 1,5.

BPI mauvais contraste, caractères blancs sur fond jaune

Documents bureautiques non accessibles

Ce non-respect du critère 13.3 du RGAA est constaté pour quatorze des seize organismes testés.

Le plus souvent, il s’agit de documents pdf. Dans de rares cas, il s’agit de documents pdf intégralement en mode image, donc totalement inaccessibles aux personnes déficientes visuelles utilisant un lecteur d’écran.

Dans d’autres cas, il peut s’agir de documents mixtes : certaines pages en mode texte, donc accessibles, d’autres en mode image donc inaccessibles.

Les autres défauts constatés à propos de ces pdf sont :

  • absence de balisage ;
  • absence de signets dans des documents volumineux ;
  • présence d’images dépourvues de texte de remplacement ;
  • contraste de couleurs insuffisant ;
  • formulaires dans lesquels on ne peut naviguer à l’aide du clavier.

Deux cas particuliers méritent là aussi d’être relevés.

Si, sur la plupart des sites les documents pdf ne représentent qu’une part très minoritaire de l’information contenue, pour la Cour des comptes il en va tout autrement : l’essentiel de l’information est ici constitué par les multiples rapports établis par la Cour des comptes ou les chambres régionales et territoriales des comptes. Présentés sous forme de documents pdf, ces rapports souffrent le plus souvent de défauts d’accessibilité. Or, comme nous l’expliquerons dans notre prochain article, dans des conditions non conformes à la réglementation, la Cour des comptes a exclu ces documents pdf de l’évaluation de sa conformité au RGAA.

Il est rappelé que l’accessibilité des documents bureautiques était déjà une exigence du RGAA 2.2 publié en 2009. Cette exigence a été logiquement reconduite dans les versions ultérieures du RGAA.

Compte tenu des dispositions du décret du 14 mai 2009, c’est dès le 16 mai 2011 que les pdf mis en ligne par la Cour des comptes et les autres organismes publics auraient dû être rendus accessibles pour respecter la loi.

Le site Légifrance, géré par les services du Premier ministre, a publié une circulaire du Premier ministre du 17 novembre 2020. Cette circulaire traite notamment de la « mise en accessibilité de la communication gouvernementale et publique ». Dans sa première version, ce document pdf de cinq pages comportait deux pages en pdf image, donc inaccessibles. Il est à noter que, à la suite de notre signalement, Légifrance propose désormais un pdf accessible

Images non ou mal décrites

Les critères 1.1, 1.2 et 1.3 du RGAA sont précis : les images porteuses d’information doivent être dotées d’une alternative textuelle pertinente, tandis que les images décoratives doivent être ignorées par les lecteurs d’écran.

Quatre des seize organismes testés présentent des cas de non-respect de ce critère.

Mauvaise structuration de certaines pages

Le RGAA comporte un critère 9.1 « Dans chaque page web, l’information est-elle structurée par l’utilisation appropriée de titres ? ».

Cette utilisation appropriée de titres est destinée à permettre aux utilisateurs de lecteur d’écran de prendre connaissance rapidement de la structure d’une page Web.

Huit des seize organismes testés ne respectent pas correctement ce critère, avec des cas de structuration totalement anarchique où, sous un titre h1, des titres h3 précèdent des titres h2.

sous un titre h1, des titres h3 précèdent des titres h2

Impossibilité de naviguer exclusivement au clavier

Les personnes déficientes visuelles et certaines personnes touchées par un handicap moteur ne peuvent pas utiliser la souris. C’est pour cette raison que le RGAA comporte un critère 12.9 prévoyant que la navigation puisse se faire exclusivement au clavier.

Ce critère n’est pas correctement respecté par le site dmp.fr géré par l’Assurance Maladie.

Carte géographique inaccessible sans alternative accessible

Sur le site du Conseil d’État, il y a une carte des juridictions administratives. Cette carte n’est pas accessible et elle n’est pas dotée d’une alternative accessible du type liste textuelle.

Les personnes déficientes visuelles utilisant un lecteur d’écran sont dans l’incapacité d’accéder à l’information.

Système d’identification non accessible

Pour accéder à son compte sur le site de la Banque des Territoires, il faut saisir un mot de passe généré dynamiquement par une petite calculatrice électronique.

Ce dispositif délivrant l’information sous une forme exclusivement visuelle est totalement inaccessible pour les personnes aveugles ou très malvoyante.

Dispositif de génération de mot de passe

Défauts d’accessibilité des publications sur les réseaux sociaux

Pour accroître l’impact de leurs publications sur les réseaux sociaux, les organismes publics y associent souvent des images. Il est même fréquent que l’essentiel de l’information se trouve dans l’image et non dans la partie textuelle de la publication.

C’est par exemple le cas d’un tweet du Ministère des Solidarités et de la Santé du 2 janvier 2021 relatif aux gestes barrières.

Le détail des gestes barrières est fourni uniquement dans l’image. Celle-ci n’ayant pas fait l’objet de la saisie d’un texte alternatif, pourtant très simple à réaliser, les personnes déficientes visuelles utilisant un lecteur d’écran sont privées de l’information.

Tweet du 2 janvier 2021 du Ministère des Solidarités et de la Santé. Le texte du tweet indique « #COVID19 -afin de protéger votre santé et celle de vos proches, continuons d’appliquer les gestes barrières. » Le tweet contient une image, non décrite par le ministère, mais qui aurait dû être décrite ainsi : Les gestes barrières pour sauver des vies. Porter un masque. Se laver régulièrement les mains. Aérer fréquemment les pièces. Respecter la distanciation physique, au moins un mètre. Pas plus de six adultes à table. Utiliser l'application TousAntiCovid.

Les publications faites sur les réseaux sociaux par les organismes publics sont soumises à l’obligation d’accessibilité puisque l’article 47 de la loi du 11 février 2005 indique :

« L'accessibilité des services de communication au public en ligne concerne l'accès à tout type d'information sous forme numérique, quels que soient le moyen d'accès, les contenus et le mode de consultation, en particulier les sites internet, intranet, extranet, les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique. »

Il y a une différence notable entre rendre un site Web accessible et rendre accessibles des publications faites sur les réseaux sociaux. Dans le cas d’un site Web, il est nécessaire de recourir aux compétences techniques de professionnels spécialisés (développeurs). Pour les publications faites sur les réseaux sociaux, il s’agit simplement de recourir aux fonctionnalités d’accessibilité mises à disposition du grand public par les éditeurs.

Pour donner une idée de la facilité de mise en œuvre, on peut dire que, pour Twitter, il faut tout au plus dix minutes pour prendre connaissance du mode opératoire et ensuite, pour chaque image jointe à un tweet, saisir la description textuelle prend moins d’une minute.

LinkedIn et Facebook offrent des fonctionnalités similaires dont la mise en œuvre est tout aussi facile.

L’absence de description textuelle pour les images porteuses d’information, n’est pas le seul défaut rencontré dans les publications faites sur les réseaux sociaux. Dans un nombre non négligeable de cas, il y a aussi des problèmes de contraste de couleurs insuffisant.

C’est par exemple le cas de ce tweet du 22 novembre 2020 de Bpifrance qui combine absence de description de l’image et contraste de couleurs exécrable (1,5 au lieu de 4,5) : 

Tweet inaccessible de BPI France

La possibilité de décrire les images jointes à des publications faites sur les réseaux sociaux est certes trop peu connue et cela peut expliquer qu’au départ elle ait été très peu utilisée. En revanche, rien ne justifie que, une fois cette possibilité portée à la connaissance des organismes publics, ceux-ci continuent à faire des publications non accessibles.

Alors même que plusieurs d’entre eux avaient déjà été saisis de cette problématique d’accessibilité des tweets et des moyens simples de la traiter, avant le 30 septembre 2020, sur les seize organismes testés, un seul, la DINUM (Direction interministérielle du numérique), émettait des tweets accessibles.

Début 2021, à la suite de notre campagne de tests et de signalement des défauts, six nouveaux organismes publics avaient pris en compte l’accessibilité dans leurs tweets, mais neuf y restaient encore réfractaires.

Dans notre troisième et dernier article, nous évoquerons :

  • le non-respect de leurs obligations déclaratives par les organismes testés ;
  • leurs réponses – ou souvent leurs absences de réponse – aux signalements de défauts que nous avons effectués ;
  • l'évolution des pratiques de certains organismes à la suite des signalements.

Nous conclurons en distinguant deux cancres parmi les mauvais élèves et nous proposerons des pistes pour l’amélioration de l’accessibilité numérique.

Auteur : Christian VOLLE

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