Cinq cas concrets de petits et gros arrangements avec le RGAA

L'essentiel

Portable avec icônes représentatifs de l'accessibilité
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  • Dans un premier article, nous avons donné un résumé global du sujet et fait divers rappels sur le référentiel général d'amélioration de l'accessibilité (RGAA). Dans ce deuxième article nous exposerons cinq cas concrets d’organismes publics importants qui ont pris de petits ou gros arrangements avec le RGAA. Le troisième article traitera des audits de conformité de ces organismes, audits difficiles à obtenir et souvent bien peu conformes. Le quatrième et dernier article formulera des propositions pour améliorer le respect du RGAA par les organisations publiques et privées.

Points communs entre les cinq organismes

Les cas des cinq organismes publics cités ci-après sont différents, mais ils ont néanmoins plusieurs points en commun :

  • ce sont tous d’importantes institutions publiques ;
  • ils ont initialement publié une déclaration d’accessibilité non conforme, avec, notamment, recours à des exemptions ou dérogations non justifiées ce qui a conduit à un taux de conformité surévalué ;
  • les défauts de la déclaration d’accessibilité leur ont été signalés ;
  • ils ont reconnu, au moins partiellement, le bien-fondé des signalements de défauts ;
  • ils ont néanmoins maintenu l’affichage d’un taux de conformité dont le caractère surévalué leur a été démontré, ce qui conduit à fournir une information fausse au public.

Il s’agit de la Défenseure des droits (pour le site antidiscriminations.fr), du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance (MEFR), du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques (MTFP), de Légifrance et de la Cour des comptes.

Antidiscriminations.fr : la Défenseure des droits ne respecte pas le droit de l’accessibilité

En février 2021, la Défenseure des droits a lancé le site antidiscriminations.fr susceptible de concerner particulièrement les personnes en situation de handicap.

La déclaration d’accessibilité du site, datée du 8 février 2021 fait état d’un taux de conformité au RGAA de 100 %.

Cette déclaration d’accessibilité comporte la mention suivante :

« Contenus non accessibles
Les contenus de tiers qui ne sont ni financés ni développés par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle ne sont pas soumis à l’obligation d’accessibilité.
Sont dans ce cas :

  • Le service de messagerie instantanée LiveChat qui constitue un des moyens d’échanger avec nous
  • Le service anti-robot reCAPTCHA sur le formulaire de signalement d’un problème technique
  • Le module de gestion des cookie, Orejime, qui présente des boutons où le critère exigeant des intitulés de bouton explicites n’est pas respecté ».

Le 9 mars 2021, nous avons indiqué à la Défenseure des droits que considérer que LiveChat était un contenu tiers était exempté du l’obligation d’accessibilité était une erreur d’interprétation de la réglementation.

LiveChat, choisi par antidiscriminations.fr, est payant, donc financé par la Défenseure des droits. La Défenseure des droits avait toute latitude d’acquérir ou de faire développer une solution de tchat accessible.

Le défaut d’accessibilité aurait dû être pris en compte dans l’évaluation de la conformité au RGAA.

Nous avions invité la Défenseure des droits à faire procéder à une nouvelle évaluation de la conformité au RGAA prenant en compte le défaut d’accessibilité du tchat et, en fonction du résultat remplacer en page d’accueil la mention « Accessibilité : totalement conforme » par « Accessibilité : non conforme » ou « Accessibilité : partiellement conforme ».

Aucune réponse n’ayant été reçue, le 24 mars, nous avons effectué une relance auprès de la Défenseure des droits.

Le 26 mars, le chargé de projet numérique nous a répondu :

« Conscientes de notre devoir d’exemplarité, nos équipes sont déjà à pied d’œuvre pour proposer dans quelques semaines une deuxième version d’antidiscriminations.fr qui intègrera un tchat conforme au RGAA.
Nous attendrons avec plaisir l’arrivée de cette V2 pour mentionner la conformité totale de notre plateforme au RGAA et modifierons les mentions en conséquence lors de la mise à jour des contenus dans quelques jours. »

La décision de mettre en place un tchat accessible est tout à fait positive. 

En revanche, le 1er juillet, antidiscriminations.fr comportait toujours la mention erronée « Accessibilité : totalement conforme » et la déclaration d’accessibilité faisait toujours état d’un taux de conformité de 100 %, donc surévalué.

Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance : une déclaration d’accessibilité qui piétine deux versions du RGAA

En octobre 2020, nous avions signalé au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance (MEFR) qu’il ne respectait pas la réglementation relative à l’accessibilité.

La déclaration d’accessibilité du site economie.gouv.fr était caduque puisqu’elle datait du 31 octobre 2016 et avait été établie sur la base du RGAA 3 2017.

Cette déclaration d’accessibilité affichait un taux de conformité de 100 % au RGAA, mais l’examen du site révélait divers défauts d’accessibilité, notamment des contrastes de couleurs insuffisants et des documents bureautiques non accessibles.

Le 4 décembre 2020, nous avions eu un échange en visioconférence avec des représentants du MEFR au cours duquel il nous avait été indiqué que des travaux relatifs à la mise en accessibilité et au respect des obligations déclaratives étaient prévus.

Nous avions également signalé le défaut d’accessibilité des publications faites sur les réseaux sociaux par les ministres et leurs services. Nous avions insisté sur le fait que, à la différence des sites Internet où la mise en accessibilité peut nécessiter un travail technique important, rendre accessibles les publications faites sur les réseaux sociaux étaient une chose très facile, ne nécessitant pas plus de dix minutes de prise de connaissance du mode opératoire.

Le 23 mars 2021, nous avons fait un nouvel examen du site economie.gouv.fr.

Nous avons constaté que la page d’accueil comportait toujours la mention « Accessibilité : totalement conforme », ce qui était de nature à tromper le public puisque, en absence d’audit en cours de validité, le RGAA indique que le site est non conforme.

Par ailleurs, aucun des défauts signalés en octobre 2020 sur le site economie.gouv.fr n’avait été réglé et, sur les réseaux sociaux, aussi bien les ministres que les comptes ministériels continuaient à faire des publications non accessibles. 

Nous avons également relevé un défaut concernant la structuration de l’information par l’utilisation appropriée de titres, défaut déjà présent en octobre 2020 mais non signalé à l’époque.

Nous avons indiqué au MEFR à quel point cette situation était insatisfaisante et nous l’avons invité, au minimum, à informer correctement le public en indiquant mentionnant dans sa déclaration d’accessibilité la non‑conformité au RGAA et en indiquant « Accessibilité : non conforme » en page d’accueil.

Le 24 mars 2021, le MEFR a répondu qu’un audit d’accessibilité avait été effectué en décembre 2020 et que des travaux étaient en cours pour corriger les anomalies détectées ; la réponse indiquait également qu’il était prévu de réaliser un schéma pluriannuel de mise en accessibilité qui prévoirait, entre autres, des actions de formation relatives à la mise en accessibilité des publications faites sur les réseaux sociaux.

Le même jour, nous avons répondu au MEFR :

  1. Qu’à partir du moment où un audit d’accessibilité était disponible depuis trois mois, il n’y avait aucune raison qu’il ne donne pas lieu à mise en ligne d’une déclaration d’accessibilité conforme au RGAA et à un affichage correct en page d’accueil ;
  2. Qu’il était incompréhensible que la mise en accessibilité des publications faites sur les réseaux sociaux soit renvoyée à un horizon très lointain alors qu’il s’agit d’une opération très simple, ne consommant pratiquement pas de ressources autres que la volonté de faire ; nous avons rappelé que la description des images publiées sur les réseaux sociaux faisait partie de la démarche de mise en accessibilité de la communication gouvernementale prévue par la charte d'accessibilité de la communication de l’État récemment mise en ligne sur le site gouvernement.fr.

Dans les jours qui ont suivi, le MEFR a très partiellement suivi notre demande :

  • en page d’accueil, il a affiché la mention « Accessibilité : non conforme » ;
  • à la page accessibilité, sous le titre « déclaration de conformité (RGAA 4.1, 2ème trimestre 2021) », il fait brièvement référence à l’audit mené en décembre 2020 sur la base du RGAA 4.0 et ayant abouti à un taux de conformité global de 46,8 %
Déclaration de conformité (RGAA 4.1, 2ème trimestre 2021) La déclaration de conformité du site du ministère de l'économie est en cours de mise à jour. Un audit d'accessibilité prenant en compte les critères du RGAA 4.0 a été réalisé au mois de décembre 2020. Il en résulte un taux de conformité global de 46,8%, et un taux de conformité moyen de 83,26%. La correction des anomalies détectées est en cours. Ces corrections seront validées lors d'un  nouvel audit, planifié au cours du 2ème trimestre 2021. La déclaration de conformité sera mise à jour à cette occasion. Le schéma pluriannuel de mise en accessibilité, en cours de rédaction, sera également publié au cours du 2ème trimestre 2021.
  • sur cette même page accessibilité, il reprend longuement la déclaration de conformité menée en 2016 sur la base du RGAA 3 2016 et cite à nouveau un taux de conformité global de 100 %.

Une application normale de la réglementation aurait consisté à faire une déclaration d’accessibilité en bonne et due forme à partir de l’audit mené en décembre 2020 sur la base du RGAA 4.0.

Au lieu de cela, le MEFR a choisi de donner au public une vision brouillée des choses. Il escamote en grande partie les résultats peu glorieux de l’audit de décembre 2020 et choisit de maintenir une déclaration de conformité de 2016 totalement caduque.

En outre, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que cette déclaration de conformité de 2016 ne respecte pas les dispositions du RGAA 3 2016. En effet, le MEFR n’arrive au très flatteur taux de conformité de 100 % qu’en ayant recours à des « dérogations spécifiques », en indiquant notamment :

« Les vidéos n'ont pas d'audio description, sous-titres ou transcription textuelle. La cellule ayant en charge la mise en ligne de ces animations n'est pas en mesure actuellement de fournir ces éléments pour l'ensemble de ces vidéos. »

Le RGAA 3 2016 prévoyait effectivement des situations donnant lieu à des dérogations spécifiques (qui ont disparu dans les versions ultérieures du RGAA). Mais le recours à ces dérogations spécifiques était très encadré : il fallait qu’elles correspondent à des « cas particuliers » du référentiel technique. Pour l’accessibilité des vidéos, le référentiel technique comportait le critère 4.1 qui prévoyait certes des dérogations spécifiques, mais uniquement pour des vidéos utilisées à des fins décoratives, c'est-à-dire n’apportant aucune information.

Le recours à une dérogation spécifique pour justifier l’inaccessibilité des vidéos n’avait donc aucun fondement réglementaire. En outre le motif invoqué par le MEFR paraît peu sérieux. En effet si on peut concevoir qu’ajouter une audiodescription ou des sous-titres peut poser quelques problèmes techniques, il n’en va pas de même pour une transcription textuelle très facile à réaliser en une heure tout au plus pour une vidéo de trois minutes.

En résumé, sur la même page, le MEFR réussit à mettre des mentions non conformes à la fois au RGAA 3 2016 et au RGAA 4.

Ministère de la Transformation et de la Fonction publiques : persistance dans l’erreur

Des signalements de décembre 2020 restés sans réponse

En décembre 2020, par deux fois, nous avions signalé au ministère de la Transformation et de la Fonction publiques (MTFP) d’une part des défauts d’accessibilité de ses services de communication au public en ligne, d’autre part des manquements aux obligations déclaratives en matière d’accessibilité.

En violation des dispositions du RGAA, le MTFP n’avait fourni aucune réponse à la suite de ces signalements.

En juin 2021 rien n’a changé concernant modernisation.gouv.fr et fonction-publique.gouv.fr

Étant donné que le MTFP est chargé de la mise en accessibilité des 250 démarches administratives les plus utilisées, il est apparu nécessaire de voir où il en était en matière de respect de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 et de ses textes d’application.

Nous avons constaté que les déclarations d’accessibilité des sites modernisation.gouv.fr et fonction-publique.gouv.fr n’avaient absolument pas évolué et ne respectaient pas du tout les prescriptions du RGAA 4.

Déclaration d’accessibilité de transformation.gouv.fr : erreurs et taux de conformité artificiellement gonflé

Nous avons noté que, le 21 mars 2021, transformation.gouv.fr disposait désormais d’une déclaration d’accessibilité datée du 23 décembre 2020, se référant au RGAA 4 et revendiquant un taux de conformité de 81,25 %, mais un examen attentif et une confrontation aux dispositions du RGAA 4 montrait que le MTFP était loin d’avoir satisfait ses obligations déclaratives, que de multiples erreurs avaient été commises et que le taux de conformité avait été artificiellement majoré.

Des manques importants

Alors qu’ils auraient dû être disponibles au plus tard le 23 septembre 2020, les éléments essentiels suivants font toujours défaut :

  • schéma pluriannuel de mise en accessibilité ;
  • plan d’action de l’année en cours.

Une présentation non conforme au RGAA

Le RGAA exige de détailler les résultats des tests ou encore de lister les non‑conformités.

La déclaration d’accessibilité du MTFP ne respecte pas ces exigences, puisqu’elle se limite à quelques indications très générales.

Des dérogations pour « contenu tiers » totalement injustifiées

La déclaration d’accessibilité indique :

« Contenu tiers

Le site utilise des contenus tiers. Il n'est pas possible de les modifier et par conséquent d'en garantir le niveau d'accessibilité.
Il s'agit du flux Twitter, du lecteur vidéo YouTube, du formulaire Sphinx et du script de cookies Tarte au citron. »

Comme nous l’avons signalé précédemment, les contenus tiers ne peuvent donner lieu à dérogation, mais à exemption. Cette confusion dénote une faible maîtrise du contenu du RGAA.

Mais il ne s’agit pas d’une simple erreur de terme (dérogation à la place d’exemption) ; il s’agit d’une prise en compte totalement erronée de ce passage du RGAA relatif aux contenus exemptés :

« sont exemptés […] les contenus de tiers qui ne sont ni financés ni développés par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle »

Sous l’appellation erronée de dérogation, le MTFP revendique une exemption pour divers éléments :

« Il s'agit du flux Twitter, du lecteur vidéo YouTube, du formulaire Sphinx et du script de cookies Tarte au citron. »

Il faut bien prendre en compte tous les termes définissant l’exemption revendiquée par le MTFP, notamment « ni financés […] par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle ».

Pour le fil Twitter, il y a effectivement une obligation de recourir à l’interface (API) fournie par Twitter et le MTFP n’a aucune latitude en la matière.

En revanche, pour le lecteur vidéo, le gestionnaire de formulaires et le gestionnaire de cookies, les composants retenus, parfois en payant, par le MTFP, ne correspondent pas à des positions de monopole. Pour assurer ces mêmes fonctionnalités, il existe des solutions accessibles ou la possibilité de développer un composant accessible.

Il est donc totalement injustifié de la part du MTFP de revendiquer une exemption pour ces composants ; ils doivent impérativement être réintégrés dans le champ de l’évaluation de la conformité au RGAA.

Invocation de la dérogation pour charge disproportionnée contraire aux dispositions du RGAA

La déclaration d’accessibilité mentionne :

« Charge disproportionnée

PDF

Le site du Ministère de la Transformation et de la Fonction Publiques propose de nombreux PDF inaccessibles qui pour différentes raisons ne peuvent pas être intégralement repris et corrigés.
Il s'agit des documents disponibles dans l'espace presse.
Le Ministère de la Transformation et de la Fonction Publiques s'engage à fournir une version alternative sur demande et met en place une réflexion pour produire et fournir à l'avenir des documents accessibles par défaut. »

Cette mention ne tient aucun compte des dispositions du RGAA 4 qui, comme indiqué précédemment, prévoit :

« Les contenus et les fonctionnalités non accessibles à ce titre sont listés dans la déclaration d’accessibilité du service en ligne concerné avec la justification de la dérogation, sa durée et l’indication, le cas échéant, d’une alternative accessible. »

Dire « pour différentes raisons » ne constitue nullement une justification mais est plutôt la marque d’une certaine désinvolture vis-à-vis du public, et le MTFP ne mentionne aucune durée.

Le RGAA indique également :

« La charge disproportionnée peut être invoquée lorsqu’il est raisonnablement impossible à l’organisme de rendre un contenu ou une fonctionnalité accessible, notamment dans le cas où la mise en accessibilité compromettrait la capacité de l’organisme à remplir sa mission de service public ou à réaliser ses objectifs économiques. »

Nul ne saurait prétendre sérieusement que la mise en accessibilité des pdf compromettrait la capacité du MTFP à remplir sa mission de service public.

L’invocation de la dérogation pour charge disproportionnée à propos des pdf est donc totalement injustifiée au regard de ce que prévoit le RGAA.

Par ailleurs, quand bien même il y aurait réellement eu une situation de charge disproportionnée, dans la mesure où le MTFP ne propose aucune alternative numérique accessible, l’évaluation de la conformité au RGAA aurait dû prendre en compte l'application du critère 13.3 du RGAA.

En effet, le RGAA précise : « À noter : si le contenu soumis à dérogation pour charge disproportionnée ne propose pas d’alternative numérique accessible, les critères concernant ce contenu sont considérés comme applicables. »

Un taux de conformité grossièrement surévalué

Le 21 mars 2021, la déclaration d’accessibilité indiquait « le site est conforme à 81,25 % au RGAA ».

Il faut tout d’abord noter l’imprécision de cette formulation. En effet, le RGAA indique, à propos du taux de conformité, « Ce taux peut indiquer le pourcentage de critères respectés ou le niveau de conformité moyen du service en ligne. »

Interrogé à ce sujet, le MTFP a précisé qu’il s’agissait du pourcentage de critères respectés.

Ce résultat était grossièrement surévalué :

  • l’échantillon sur lequel a été réalisé l’audit n’est pas représentatif puisque, d’une part il ne comporte pas de pdf, d’autre part il évite soigneusement d’inclure les pages défectueuses signalées en décembre 2020 ;
  • les dérogations et exemptions retenues par le MTFP pour évaluer sa conformité au RGAA sont totalement injustifiées.

Prise en compte très insuffisante des signalements effectués

Le 22 mars 2021, nous avons signalé au MEFR la persistance de défauts d’accessibilité dans ses divers services de communication au public en ligne ainsi que la non‑conformité de la déclaration d’accessibilité de transformation.gouv.fr.

À la suite d’une réponse incomplète reçue le 23 mars, nous avons apporté diverses précisions.

Nous avions invité le MTFP à se mettre rapidement en conformité avec la loi, ce qui impliquait de :

  • supprimer les défauts d’accessibilité de ses divers services de communication au public en ligne ;
  • établir et publier son schéma pluriannuel de mise en accessibilité ;
  • publier le plan d’action l’année en cours incluant le bilan des actions réalisées l’année précédente ;
  • publier des déclarations d’accessibilité conformes pour tous ses services de communication au public en ligne ;
  • pour transformation.gouv.fr publier une nouvelle déclaration d’accessibilité au terme d’une évaluation de la conformité non biaisée par le recours à un échantillon non représentatif et à des exemptions et dérogations non justifiées.

Le MTFP avait notamment indiqué qu’un nouvel audit serait réalisé début avril 2021 et que l’accessibilité des pdf serait améliorée.

En mai 2021, nous avons constaté une modification du taux de conformité affiché qui était désormais de 93,6 %, mais curieusement la déclaration d’accessibilité restait datée du 23 décembre 2020 ce qui rendait les choses peu compréhensibles.

Pour le même audit réalisé le 23 décembre 2020, le taux de conformité passe de 81,25 % à 93,6 % entre le 21 mars et le 7 mai 2021.

À la suite de notre de demande documents explicatifs, nous avons constaté qu’il y avait bien eu un nouvel audit daté de mai. 

L’examen de cet audit montre qu’il est entaché de diverses erreurs et que le taux de conformité n’est en fait que de 85,94 % et non de 93,65 %.

Concernant les pdf, le Dossier de presse Talents du service public publié le 26 avril 2021 est un pdf présentant de multiples défauts d’accessibilité, alors qu’InDesign, le logiciel utilisé pour le réaliser propose toutes les fonctionnalités nécessaires à la production de documents accessibles.

Légifrance : le « service public de la diffusion du droit » ne respecte pas la loi et ne la rend pas accessible

La DILA (Direction de l’information légale et administrative) gère le site legifrance.gouv.fr présenté comme « le service public de la diffusion du droit ».

En décembre 2020, nous avions signalé à la DILA diverses non‑conformités sur les déclarations d’accessibilité des sites legifrance.gouv.fr et dila.premier‑ministre.gouv.fr.

Pour la déclaration d’accessibilité de Légifrance, il apparaissait au 31 mars 2021 qu’il y avait désormais un lien vers le schéma pluriannuel de mise en accessibilité de la DILA.

En revanche, il a été constaté que cette déclaration d’accessibilité présentait diverses non‑conformités par rapport à ce que prévoit le RGAA, notamment des dérogations injustifiées, un échantillon insuffisamment représentatif, des défauts d’accessibilité non relevés, un taux de conformité surévalué.

Dans les lignes qui suivent nous exposons les signalements effectués à ce sujet ainsi que les réactions de la DILA, globalement insuffisantes.

Recours injustifié aux dérogations

Confusion entre dérogation et exemption

Dans ce qui semble être un classique chez de nombreux organismes publics, Légifrance parle à tort de « dérogation » pour des contenus tiers qu’elle estime non soumis à l’obligation d’accessibilité, alors qu’il s’agit d’une exemption.

Mais surtout, il ne s’agit pas d’une simple erreur de terme ; il s’agit d’une prise en compte totalement erronée de ce passage du RGAA relatif aux contenus exemptés :

« sont exemptés […] les contenus de tiers qui ne sont ni financés ni développés par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle »

Légifrance invoque cette exemption pour « l’outil tiers qui permet aux utilisateurs de donner leur avis ».

Comme cela a été expliqué précédemment, Légifrance avait tout loisir de choisir un outil accessible pour couvrir ce besoin, donc Légifrance avait le contrôle. L’exemption n’est absolument pas justifiée et les contenus concernés par l’outil auraient dû être intégrés à l’évaluation de la conformité au RGAA.

Invocation de la dérogation pour charge disproportionnée contraire aux dispositions du RGAA

Dans son état au 6 juillet 2021, la déclaration d’accessibilité mentionne :

« Charge disproportionnée

Le site Légifrance propose de nombreux contenus inaccessibles qui pour différentes raisons ne peuvent pas être repris et corrigés.
C’est le cas notamment de la majorité des fichiers PDF dont certains sont mis à disposition à titre d’archives. Sont également présents des documents fournis par des tiers que la DILA ne peut modifier.
L’autre problématique concerne les contenus de textes de loi qui ne sont pas correctement structurés (absence de balises titres, listes, paragraphes) et dont le code HTML ne respecte pas les derniers standards. Dans certains cas, ces contenus pourront être difficiles à consulter pour des personnes aveugles et déficientes visuelles par exemple. »

Invoquer en ces termes la dérogation pour charge disproportionnée revient à ne tenir aucun compte du RGAA qui prévoit à ce sujet :

« Les contenus et les fonctionnalités non accessibles à ce titre sont listés dans la déclaration d’accessibilité du service en ligne concerné avec la justification de la dérogation, sa durée et l’indication, le cas échéant, d’une alternative accessible. »

On retrouve le « pour différentes raisons » déjà rencontré dans la déclaration d’accessibilité du MTFP ; cette formule constitue plus une manifestation de désinvolture vis-à-vis du public qu’une tentative de justification sérieuse.

Par ailleurs, invoquer la charge disproportionnée pour des contenus fournis par des tiers est le signe d’un manque total de maîtrise du RGAA.

Dans le cas des pdf, l’explication donnée est très imprécise. Étant donné que les pdf antérieurs au 23 septembre 2018 sont exemptés de l’obligation d’accessibilité, il s’agit forcément de pdf produits depuis cette date. Il est dit que « certains sont mis à disposition à titre d’archives », ce qui implique que d’autres n’ont pas cette vocation d’archive.

Rien dans la déclaration d’accessibilité fournie n’indique en quoi il serait « raisonnablement impossible » à Légifrance de rendre accessibles ces pdf ni en quoi cela « compromettrait la capacité de [Légifrance] à remplir sa mission de service public ».

En outre, le plan d’action 2021 de la DILA est rédigé en des termes très vagues, ne permettant pas de savoir si les défauts d’accessibilité des pdf actuels seront corrigés, ni si la DILA prévoit à l’avenir de ne mettre en ligne que des pdf accessibles.

Dans le cas des textes de loi, Légifrance indique :

« L’autre problématique concerne les contenus de textes de loi qui ne sont pas correctement structurés (absence de balises titres, listes, paragraphes) et dont le code HTML ne respecte pas les derniers standards. Dans certains cas, ces contenus pourront être difficiles à consulter pour des personnes aveugles et déficientes visuelles par exemple. »

Tout comme dans le cas des pdf, Légifrance ne fournit aucune justification à cette invocation de la dérogation pour charge disproportionnée.

Légifrance se présente comme « le service public de la diffusion du droit ». 

Les lois sont un élément essentiel du droit et, au 30 mars 2021, il y avait 2950 lois en ligne sur Légifrance.

Or le RGAA prévoit :

« Si le contenu ou la fonctionnalité concerne les missions principales d’un organisme chargé de mission de service public, la dérogation est obligatoirement accompagnée d’une alternative permettant d’apporter un service équivalent à l’utilisateur. »

Avec les lois, on est de manière non contestable dans le domaine des « missions principales » de Légifrance. 

Tout comme dans le cas des pdf, l’imprécision des termes du plan d’action 2021 ne permet pas de savoir si la DILA prévoit de traiter ce problème de défaut d’accessibilité des textes de loi.

En résumé, qu’il s’agisse des pdf ou des textes de loi, Légifrance ne fournit aucune justification à son invocation de la « dérogation pour charge disproportionnée ».

Par ailleurs, quand bien même il y aurait réellement eu une situation de charge disproportionnée, dans la mesure où Légifrance ne propose aucune alternative numérique accessible, l’évaluation de la conformité au RGAA aurait dû prendre en compte l'application à ces contenus des critères du RGAA.

En effet, le RGAA précise : « À noter : si le contenu soumis à dérogation pour charge disproportionnée ne propose pas d’alternative numérique accessible, les critères concernant ce contenu sont considérés comme applicables. »

Échantillon non représentatif

Le RGAA donne des indications très précises sur la constitution de l’échantillon sur lequel est réalisé l’audit destiné à évaluer la conformité.

Il est notamment indiqué que l’échantillon doit comporter « au moins une page pertinente pour chaque type de service fourni » ou encore « au moins un document téléchargeable pertinent ».

Sur Légifrance, au 30 mars 2021, il y avait :

  • 2 950 lois ;
  • 39 285 décrets ;
  • 54 663 arrêtés.

Or on constate que si sous l’intitulé Texte consolidé,  l’échantillon comporte un  arrêté, il ne comporte en revanche comporte aucune loi, aucun décret. 

L’échantillon ne remplit donc pas les conditions de représentativité exigées par le RGAA.

Non‑conformités non relevées dans la déclaration d’accessibilité

Dans les pages de l’échantillon

Sommaire code

Le RGAA comporte un critère 9.1.1 « Dans chaque page web, la hiérarchie entre les titres […] est-elle pertinente ? ».

Ce critère n’est absolument pas respecté puisque cette page, très volumineuse (plus de 16 000 mots), ne compte qu’un titre h1 alors qu’il y aurait eu matière à utiliser tous les niveaux de titres de h2 à h6.

Il ne s’agit pas d’un défaut propre au seul code civil. Tous les autres codes semblent concernés.

Résultat de recherche JORF

Avec une hiérarchie où l’on passe directement d’un titre h2 à un titre h4, sans présence d’un titre h3 entre le h2 et le h4, on est face à une non‑conformité au RGAA 4.0 qui indique :

« La hiérarchie entre les titres doit être respectée dans une page web et les degrés de titre ne peuvent pas être sautés (un titre h3 ne peut pas venir directement après un titre h1, par exemple ».

""

Ce point n’aura pas à être corrigé car le RGAA 4.1 mis en ligne le 18 février 2021, tout en n’encourageant pas cette pratique de saut de niveau, ne la considère plus comme une non‑conformité. Mais cela est révélateur de l’absence de rigueur qui a prévalu à l’évaluation de la conformité au RGAA 4.0.

Texte de base convention collective

""

Le critère 9.1.2 indique « Dans chaque page web, le contenu de chaque titre […] est-il pertinent ? »

Il n’est ici pas respecté puisqu’il il y a un titre h1 vide.

Par ailleurs le saut direct de h1 à h3 est un autre exemple de non‑conformité au critère 9.1.1.

Texte consolidé

""

Le critère 9.1.1 relatif à la pertinence de la hiérarchie des titres n’est pas respecté puisqu’un h3 vient après un h4.

Dans les pages qui auraient dû figurer dans un échantillon véritablement représentatif

Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 (dont l’article 47 traite de l’accessibilité)

""

Avec des titres h2 succédant à des h3, cette page est non conforme au critère 9.1.1.

Cette non‑conformité n’est pas le « privilège » de la loi handicap de 2005 ; elle concerne de nombreux autres textes de loi, notamment les lois de finances ou les lois de financement de la sécurité sociale.

En résumé, sur « le service public de diffusion du droit », les textes de loi ne sont pas accessibles et la déclaration d’accessibilité de Légifrance évacue le problème en invoquant de manière non justifiée une dérogation pour charge disproportionnée.

Décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019

""

Avec un saut direct de h1 à h3, cette page n’est pas conforme au RGAA 4.0 utilisé pour l’évaluation de la conformité.

Cette pratique de saut est tolérée par le RGAA 4.1.

Taux de conformité largement surévalué

Le taux de conformité est annoncé à 77,6 %.

Mais ce taux est largement surévalué pour les raisons suivantes :

  • l’échantillon n’est pas représentatif, donc toutes les non‑conformités qui auraient été recensées dans un échantillon convenablement constitué n’ont pas été prises en compte ; des exemples en ont été donnés ci‑dessus ;
  • des non‑conformités présentes dans certaines pages de l’échantillon de l’échantillon n’ont pas été relevées dans le cadre de l’audit ;
  • des contenus et des fonctionnalités non accessibles ont fait l’objet d’une dérogation indue ; les non‑conformités correspondantes n’ont pas été recensées.

La réponse insatisfaisante de la DILA

Notre demande initiale

Le 31 mars 2021, nous avons attiré l’attention de la DILA sur la non‑conformité de sa déclaration d’accessibilité et sur la surévaluation du taux de conformité. En raison de cette non‑conformité, et tenant compte de la disposition du RGAA qui indique la conduite à tenir « s’il n’existe aucun résultat d’audit en cours de validité », nous avions invité la DILA à mentionner « Accessibilité : non conforme » en page d’accueil. 

Nous avions également demandé à la DILA de procéder à une nouvelle évaluation de sa conformité en respectant strictement les dispositions prévues à ce sujet par le RGAA, ce qui implique notamment de ne pas recourir à des exemptions ou à des dérogations non justifiées. Dans l’éventualité où la DILA souhaiterait, pour certains contenus, invoquer la dérogation pour charge disproportionnée, nous lui demandions d’apporter les justifications appropriées.

Bien évidemment, nous demandions aussi que soient corrigés les défauts d’accessibilité que nous avions signalés.

La réponse incomplète de la DILA

Dans sa réponse du 2 avril, la DILA reconnaissait que certaines pages de l’échantillon contenaient des défauts d’accessibilité non relevés dans le cadre de l’audit et annonçait que des corrections étaient prévues. Elle indiquait qu’un nouvel audit serait effectué avant fin juin 2021.

En revanche, la DILA contestait notre critique relative au manque de représentativité de l’échantillon en alléguant, par exemple, que tous les textes consolidés (lois, décrets, arrêtés…) avaient le même « template » (modèle) et qu’en conséquence, le texte consolidé de l’échantillon était largement suffisant.

Pour les pdf, la DILA persistait dans la confusion en continuant à parler de « charge disproportionnée » tout en indiquant que, pour une majorité d’entre eux, il s’agissait de pdf antérieurs à septembre 2018 et qu’ils sont en réalité exemptés de l’obligation d’accessibilité.

Enfin, la DILA faisait part de son refus de modifier sa déclaration d’accessibilité et d’indiquer que Légifrance n’était pas conforme au RGAA.

Notre nouvelle demande et le maintien par la DILA d’une information insincère à propos du taux de conformité

Le 6 avril, nous avons répondu à la DILA en lui indiquant que les exemples fournis montraient bien que l’argument du « même template » ne résistait pas à l’examen des faits, puisque lois, décrets et arrêtés présentaient des défauts d’accessibilité différents.

Concernant la sincérité de l’information diffusée à propos du taux de conformité, nous avons relevé que l’affichage initial du taux de conformité de 77,6 % avait été fait en toute bonne foi. Nous avons aussi souligné que la donne avait changé : il était maintenant établi que ce taux de 77,6 % était surévalué par rapport à l’état réel du site lors de l’audit. Maintenir pendant plusieurs mois l’affichage de ce taux de 77,6 % alors que la DILA sait qu’il est surévalué reviendrait à diffuser sciemment une information erronée, ce qui ne relève plus de la simple erreur.

C’est pourquoi, dans l’hypothèse où la DILA voudrait combiner le maintien de l’affichage des 77,6 % et souci de transparence vis-à-vis du public, nous lui avons indiqué qu’il nous paraissait indispensable que ce taux soit au minimum assorti d’un commentaire de ce type :

« Il est apparu après l’audit que diverses non‑conformités n’avaient pas été détectées. Il en résulte que le taux de 77,6 % est surévalué.

La DILA travaille actuellement à corriger les non‑conformités, celles détectées lors de l’audit et celles détectées ultérieurement. Un nouvel audit d’accessibilité sera effectué avant la fin juin 2021 ».

La DILA n’a tenu aucun compte de cette demande et, le 6 juillet 2021, elle continue à afficher un taux de conformité de 77,6 % dont elle connaît le caractère surévalué. Cela revient à tromper délibérément le public.

Cour des comptes : pour l’accessibilité, le compte n’y est pas

Une information composée quasi exclusivement de pdf présentant des défauts d’accessibilité

Par rapport à la plupart des sites publics ou privés, ccomptes.fr présente une particularité de taille : à plus de 90 % l’information mise en ligne est constituée de documents de type rapport au format pdf.

Ces pdf sont issus de documents Word illustrés de tableaux de chiffres ou de graphiques issus d’Excel. Pour peu qu’on se soit soucié de donner la formation adaptée aux rédacteurs (pas plus d’une journée), l’obtention de pdf accessibles est donc une chose assez aisée.

En application du décret du 14 mai 2009, tous les pdf mis en ligne par la Cour des comptes auraient dû être accessibles dès 2011.

La Cour des comptes reconnaît qu’il n’en est rien. La quasi-totalité des pdf publiés présentent des défauts d’accessibilité (absence de signets, images non décrites, contrastes de couleurs parfois insuffisants).

Ces défauts persistent sur des documents publiés en mai 2021, par exemple le rapport relatif à ENEDIS.

L’attribution totalement injustifiée du label e‑accessible niveau 5

Malgré le constat qui précède, il convient de préciser que la Cour des comptes s’était montrée soucieuse de l’accessibilité de son site. Elle avait entrepris les démarches nécessaires à l’attribution du label e‑accessible mis en place par la Dinum (direction interministérielle du numérique).

Ce label, censé être fondé sur la conformité au RGAA 3, a aujourd’hui disparu et on n’en trouve plus aucune trace sur le site de la Dinum. Il comportait cinq niveaux en fonction de la conformité au RGAA. Le niveau 5 correspondait au respect de tous les critères simple A et double A (AA) et d’au moins un critère triple A (AAA).

Dans le RGAA 3 2017, le critère 13.7 relatif à l’accessibilité des documents bureautiques, donc des pdf, était un critère simple A.

Dans ces conditions, et compte tenu des défauts d’accessibilité des pdf de la Cour des comptes que personne ne conteste, il apparaît totalement incompréhensible que la Dinum ait attribué à ccomptes.fr le niveau 5 du label e‑accessible.

Jusqu’en mars 2021, le site ccomptes.fr avait une page « ccomptes.fr titulaire du niveau 5 du label e-accessible » qui tenait lieu de page accessibilité.

La Cour des comptes s’y réjouissait d’avoir atteint « le plus haut niveau de conformité aux critères techniques du RGAA ».

Plus bas dans la page, dans la déclaration de conformité RGAA datée du 26 novembre 2019, était évoqué un audit externe révélant « une conformité globale au RGAA de 100%. »

Ce taux de 100 % n’a pu être obtenu qu’en soustrayant les pdf à l’évaluation de la conformité. La seule explication fournie à propos de cette manœuvre audacieuse était initialement la suivante :

« Dérogations spécifiques

Les documents PDF proposés en téléchargement ne sont pas totalement accessibles. Par conséquent, la Cour des comptes proposera une version accessible, si elle est disponible, de ces documents sur demande. À noter enfin que la Cour des comptes a lancé un chantier de prise en compte de l’accessibilité sur toute la chaîne de production de documents PDF. »

Cette explication ne résiste pas à un examen attentif des textes de référence :

  1. La notion de « dérogation spécifique » ne figure nulle part dans le RGAA 3 2017 ; elle existait dans le guide des dérogations du RGAA 3 2016, mais ces dérogations spécifiques ne s’appliquaient qu’aux « cas particuliers » du RGAA 3 2016 ; or le critère 13.7 relatif aux documents bureautiques en téléchargement ne comportait aucun cas particulier. L’invocation d’une « dérogation spécifique » pour les pdf n’a donc aucun fondement réglementaire ;
  2. En revanche, il n’a été tenu aucun compte du très précis paragraphe 4.2.6.2.2 du guide d’application du RGAA 3 2017 qui indique que les documents bureautiques récents doivent être accessibles

« Contenus en téléchargement en nombre important

Il peut être excessivement coûteux et donc déraisonnable de mettre en conformité un nombre important d’archives en téléchargement, au-delà des contenus listés dans la section précédente.

Dans ce cas, une dérogation peut être faite pour les documents de plus de 2 ans. Cela ne vaut pas pour la production de nouveaux documents ».

L’exclusion des pdf de l’évaluation de la conformité résulte donc d’une double manœuvre : d’une part, l’invocation d’une dérogation spécifique totalement inventée, d’autre part, la non prise en compte d’une disposition très précise du guide d’application du RGAA impliquant que les pdf de moins de deux ans devaient être accessibles.

Les indications fluctuantes et toujours erronées de la Cour des comptes à propos de son niveau d’accessibilité

Dès décembre 2020 et janvier 2021, nous avions attiré l’attention de la Cour des comptes sur le caractère erroné du taux de conformité de 100 % au RGAA 3 2017 ainsi que sur divers points liés au non-respect des obligations déclaratives relatives à l’accessibilité :

  • absence de la mention obligatoire en page d’accueil (elle était remplacée par le logo label e‑accessible) ;
  • absence du schéma pluriannuel de mise en accessibilité.

La Cour des comptes avait néanmoins maintenu l’affichage de mentions erronées sur son site.

Comme la réglementation lui en donnait la possibilité, la Cour des comptes avait établi sa déclaration de conformité de novembre 2019 en choisissant le RGAA 3 2017 comme norme de référence.

Le RGAA 4 ayant été publié le 21 septembre 2019, toute déclaration d’accessibilité ayant pour norme de référence le RGAA 3 2017 devenait caduque le 21 mars 2021.

Nous avons attiré l’attention de la Cour des comptes sur ce point en même temps que nous lui avons rappelé le caractère injustifié de l’attribution du label e‑accessible dont nous lui avons signalé la disparition.

En réponse, la Cour des comptes a répondu découvrir grâce à nous l’abandon du label e‑accessible par la Dinum. Elle a retiré la mention « label e‑accessible » en page d’accueil en la remplaçant, dans un premier temps, par un simple lien intitulé « accessibilité » et non « accessibilité : non conforme » comme l’exige le RGAA en l’absence d’audit en cours de validité. Ce n’est qu’en mai 2021 que la Cour des comptes a fini par afficher « accessibilité : non conforme » en page d’accueil.  

La page précédemment intitulée « ccomptes.fr titulaire du niveau5 du label e‑accessible » a été renommée « L'accessibilité de ccomptes.fr ». La Cour des comptes y a maintenu les mentions obsolètes relatives au cadre légal en parlant de « référentiel général d'accessibilité pour les administrations ». Elle a aussi maintenu les mentions relatives à l’obtention du label e‑accessible et celles portant sur une conformité à 100 % au RGAA 3 2017, avec, dans un premier temps, encore l’indication de « dérogations spécifiques » pour les pdf.

De manière beaucoup plus discrète, la Cour des comptes a indiqué que le site ccomptes.fr n’était pas conforme au RGAA 4 et qu’elle allait lancer un nouvel audit.

La reconnaissance de cette non‑conformité au RGAA 4 pouvait être considérée comme une évolution positive et le maintien des mentions erronées comme une scorie du passé vouée à disparaître après réalisation d’un nouvel audit respectant scrupuleusement les prescriptions du RGAA.

Mais, en avril 2021, la Cour des comptes, à propos de sa déclaration de conformité au RGAA 3 2017, à la fois erronée et caduque, a retiré les termes « dérogations spécifiques ». 

Ce retrait vient sans doute de ce que la Cour des comptes a dû se rendre compte que, comme nous le lui avions indiqué, il n’est nulle part question de « dérogation spécifique » dans le RGAA 3 2017. 

Ce qui est problématique, c’est que la Cour des comptes a remplacé ces termes par une expression tout aussi absente du RGAA 3 2017, à savoir « dérogations pour charges disproportionnées ».

La dérogation pour charge disproportionnée n’est apparue que dans le RGAA 4 ; il est donc tout à fait incohérent de l’invoquer dans le cadre du RGAA 3 2017.

Par ailleurs, comme nous l’avions déjà signalé en janvier 2021 à la Cour des comptes, même dans le cadre du RGAA 4, les conditions pour invoquer la dérogation pour charge disproportionnée à propos de la mise en accessibilité des pdf ne sont absolument pas remplies. En outre, quand bien même il y aurait réellement eu charge disproportionnée, dans la mesure où les pdf ne sont pas accompagnés d’une alternative accessible, le critère 13.3 du RGAA 4 relatif à l’accessibilité des documents bureautiques serait applicable. Le critère étant non respecté, le taux de conformité est obligatoirement inférieur à 100 %.

La manière dont est présentée la page accessibilité avec un long développement sur un prétendu « plus haut niveau de conformité aux critères techniques du RGAA 3 2017 » et la mention erronée d’un taux de conformité de 100 %, simplement suivi d’un cours passage relatif à la non‑conformité au RGAA 4 laissent supposer aux internautes peu informés que ccomptes.fr a un excellent niveau d’accessibilité, ce qui est totalement faux.

La Cour des comptes ne pouvant être soupçonnée de délibérément mettre en ligne des informations qu’elle saurait être erronées, on mesure à quel point elle a été induite en erreur par l’attribution injustifiée du label e‑accessible.

Auteur : Christian VOLLE

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