L'essentiel
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- Dans un premier article, nous avons donné un résumé global du sujet et fait divers rappels sur le référentiel général d'amélioration de l'accessibilité (RGAA). Dans le deuxième article nous avons exposé cinq cas concrets d’organismes publics importants qui ont pris de petits ou gros arrangements avec le RGAA. Dans ce troisième article nous traitons des audits de conformité de ces organismes, audits difficiles à obtenir et souvent bien peu conformes. Le quatrième et dernier article formulera des propositions pour améliorer le respect du RGAA par les organisations publiques et privées.
Le cadre légal de la communication des documents administratifs
Tout organisme public soumis à la loi doit réaliser, par ses propres moyens ou avec le concours d‘une société spécialisée, un audit de conformité au RGAA.
Selon le code des relations entre le public et l'administration (CRPA), ces audits de conformité sont des documents administratifs que les organismes publics sont tenus de communiquer à toute personne qui en fait la demande.
Nous avons donc exercé ce droit et demandé aux cinq organismes mentionnés ci-dessus de nous communiquer leur audit de conformité.
Le CRPA prévoit que les organismes disposent d’un délai d’un mois pour les documents demandés ou envoyer une décision de refus motivée.
À l’issue du délai d’un mois ou en cas de refus aux motivations non valables, il est possible de saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) pour lui demander son avis en vue de l’obtention des documents.
Lorsqu’ils communiquent des documents en application du CRPA, les organismes publics sont tenus de les publier en ligne.
Difficultés pour obtenir les audits de conformité
- Seul Légifrance a répondu dans les délais.
- Après relance de notre part, le MEFR et le MTFP se sont exécutés avec un retard de vingt-cinq jours.
- Peu après l’expiration du délai d’un mois, la Cour des comptes a opposé un refus aux motivations non valables. Nous avons donc saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) à ce sujet et informé la Cour des comptes de cette saisine. Trois semaines après, la Cour des comptes a révisé sa position et nous a transmis l’audit demandé.
- La Défenseure des droits n’a pas répondu dans le délai d’un mois. Nous avons donc saisi la CADA à la suite de ce silence qui constitue un refus non motivé. La CADA dispose d’un délai d’un mois pour notifier son avis.
Tous les audits reçus étaient erronés
Au 6 juillet 2021, nous avons donc reçu cinq audits, un pour le MTFP, deux pour le MEFR (2016 et 2020), un pour Légifrance et un pour la Cour des comptes. Trois étaient établis en référence au RGAA 4, un en référence au RGAA 3 2017 et un en référence au RGAA 3 2016.
Aucun de ces audits n‘a été établi conformément aux règles fixées par le RGAA :
- tous font état d‘exemptions ou de dérogations non justifiées ;
- tous donnent un taux de conformité surévalué.
Audit de conformité du site Légifrance
Cet audit a été réalisé par un prestataire externe.
Les documents communiqués par Légifrance sont les suivants :
- rapport d’audit (pdf - 1176 ko)
- grille d’évaluation de la conformité au RGAA 4 (xlsx - 911 ko)
Cet audit est entaché de diverses erreurs qui lui ôtent toute fiabilité.
Confusion entre dérogation et exemption
La seule dérogation invocable pour ne pas rendre accessible une fonctionnalité ou un contenu, c’est la dérogation pour charge disproportionnée.
Or, l’audit invoque des dérogations pour un « contenu tiers ».
Il est exact que, sous certaines conditions nettement précisées par le RGAA, certains contenus sont en dehors du champ de l’obligation légale d’accessibilité. Mais il s’agit dans ce cas de contenus exemptés, concept très différent de la dérogation pour charge disproportionnée.
L'onglet P03 de la grille d'évaluation évoque une dérogation pour des pdf anciens (antérieurs au 23 septembre 2018). En fait, il s’agit d’un contenu exempté. Cette erreur est sans impact sur le calcul du taux de conformité.
L’onglet P27 évoque une dérogation à propos d’un document Word alors qu’il s’agit d’un contenu exempté car il s’agit d’un contenu réellement fourni par un tiers.
Dans d’autres cas (onglet P32 par exemple) un contenu tiers est évoqué à propos d’erreurs de code html sans que l’on sache de quel tiers il s’agit.
Soustraction injustifiée d’un contenu tiers à l’évaluation de l’accessibilité
Mais il ne s’agit pas d’une simple erreur de terme (dérogation à la place d’exemption) ; il s’agit d’une prise en compte totalement erronée de ce passage du RGAA relatif aux contenus exemptés :
« sont exemptés […] les contenus de tiers qui ne sont ni financés ni développés par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle »
Sous l’appellation erronée de dérogation, l’audit revendique une exemption pour « l’outil tiers qui permet aux utilisateurs de donner leur avis ».
Il faut bien prendre en compte tous les termes définissant l’exemption revendiquée par Légifrance, notamment « ni financés […] par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle ».
Pour permettre aux utilisateurs de donner leur avis, il existe des solutions accessibles ou la possibilité de développer un composant accessible.
Cette exemption n’a pas été repérée précisément dans la grille d’évaluation.
Il est donc totalement injustifié que l’audit revendique une exemption pour cet outil tiers ; il doit impérativement être réintégré dans le champ de l’évaluation de la conformité au RGAA.
Invocation de la dérogation pour charge disproportionnée contraire aux dispositions du RGAA
Alors que la dérogation pour charge disproportionnée est invoquée dans la déclaration d’accessibilité notamment à propos des « contenus de textes de loi qui ne sont pas correctement structurés (absence de balises titres, listes, paragraphes) et dont le code HTML ne respecte pas les derniers standards », le texte de l’audit se contente de mentionner « Nous anticipons une charge disproportionnée pour reprendre ces différents contenus et une dérogation sera probablement accordée pour ces contenus », mais, contrairement aux exigences du RGAA, ne fournit aucun élément justifiant l’existence de la prétendue charge disproportionnée.
Concernant le critère 9.1, l’onglet P09 de la grille d’évaluation de la conformité indique un code D pour dérogation, mais, contrairement aux exigences du RGAA, ne donne aucune justification précise pour cette dérogation.
Par ailleurs, quand bien même il y aurait réellement eu une situation de charge disproportionnée, dans la mesure où Légifrance ne propose aucune alternative numérique accessible, l’évaluation de la conformité au RGAA faite dans le cadre de l’audit aurait dû prendre en compte l'application des critères correspondant du RGAA.
En effet, le RGAA précise : « À noter : si le contenu soumis à dérogation pour charge disproportionnée ne propose pas d’alternative numérique accessible, les critères concernant ce contenu sont considérés comme applicables. »
Utilisation d’un mauvais modèle de grille d’évaluation de la conformité
L’auditeur a utilisé un modèle de grille issu du RGAA 3 et non du RGAA 4. Il l’a certes adapté avec la liste des critères du RGAA 4, mais il a négligé l’importante précision donnée dans le mode d’emploi de la grille standard RGAA 4 fournie par la DINUM à propos de la codification du statut et du recours à la dérogation (pour charge disproportionnée) :
« C : CONFORME. Le critère est conforme pour l'ensemble des éléments de la page
NC : NON CONFORME. Au moins un des éléments de la page concernés par le critère n'est pas conforme
NA : NON APPLICABLE. Ou bien aucun élément dans la page ne concerne le critère, ou bien le seul contenu qui concerne le critère est exempté, ou bien le seul contenu qui concerne le critère est soumis à dérogation et il propose une alternative numérique accessible. »
En application de ces règles :
- si le contenu est soumis à dérogation et s’il y a une alternative numérique accessible, le statut est NA (il peut éventuellement être C si dans la page il existe d'autres contenus satisfaisant le critère) ;
- si le contenu est soumis à dérogation et s’il n’y a pas d’alternative numérique accessible, le statut est NC.
Au mépris de ces règles, l’auditeur a saisi un statut C pour des contenus dérogés sans alternative numérique accessible.
Statut saisi à tort comme conforme (C) alors que le commentaire indique un non-respect du critère
Dans de multiples cas l’auditeur a relevé le non-respect d’un critère, par exemple le critère 8.6 dans l’onglet P05, et a néanmoins saisi le statut C (conforme) au lieu de NC (non conforme).
Au final, un taux de conformité sensiblement surévalué
Les erreurs mentionnées ci-dessus ont conduit à exclure indument de l’évaluation de la conformité divers contenus non accessibles.
Comme le montre la grille d’évaluation Légifrance ci-jointe, l'application correcte des dispositions du RGAA aux défauts relevés par l’auditeur aboutit à un taux de conformité de 62,07 % et non de 77,59 %.
Audit de conformité du site transformation.gouv.fr
Cet audit a été réalisé par un prestataire externe.
Les documents communiqués par le MTFP sont les suivants :
- rapport d’audit du 19 octobre 2020 (pdf, 1534 ko)
- rapport d’audit du 17 décembre 2020 (pdf, 851 ko)
- rapport de recette du 14 mai 2021 (pdf, 571 ko)
- grille d’évaluation de la conformité au RGAA (xlsx, 558 ko)
Cet audit est entaché de diverses erreurs qui lui ôtent toute fiabilité.
Confusion entre dérogation et exemption
La seule dérogation invocable pour ne pas rendre accessible une fonctionnalité ou un contenu, c’est la dérogation pour charge disproportionnée.
Or, l’audit invoque des dérogations pour les « contenus tiers ».
Il est exact que, sous certaines conditions nettement précisées par le RGAA, certains contenus sont en dehors du champ de l’obligation légale d’accessibilité. Mais il s’agit dans ce cas de contenus exemptés, concept très différent de la dérogation pour charge disproportionnée.
Soustraction injustifiée de contenus tiers à l’évaluation de l’accessibilité
Mais il ne s’agit pas d’une simple erreur de terme (dérogation à la place d’exemption) ; il s’agit d’une prise en compte totalement erronée de ce passage du RGAA relatif aux contenus exemptés :
« sont exemptés […] les contenus de tiers qui ne sont ni financés ni développés par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle »
Sous l’appellation erronée de dérogation, l’audit revendique une exemption pour divers éléments :
« Il s'agit du flux Twitter, du lecteur vidéo YouTube, du formulaire Sphinx et du script de cookies Tarte au citron. »
Il faut bien prendre en compte tous les termes définissant l’exemption revendiquée par le MTFP, notamment « ni financés […] par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle ».
Pour le fil Twitter, il y a effectivement une obligation de recourir à l’API fournie par Twitter et le MTFP n’a aucune latitude en la matière.
En revanche, pour le lecteur vidéo, le gestionnaire de formulaires et le gestionnaire de cookies, les composants retenus, parfois en payant, par le MTFP, ne correspondent pas à des positions de monopole. Pour assurer ces mêmes fonctionnalités, il existe des solutions accessibles ou la possibilité de développer un composant accessible.
Il est donc totalement injustifié que l’audit revendique une exemption pour ces composants ; ils doivent impérativement être réintégrés dans le champ de l’évaluation de la conformité au RGAA.
Invocation de la dérogation pour charge disproportionnée contraire aux dispositions du RGAA
Alors que la dérogation pour charge disproportionnée est invoquée dans la déclaration d’accessibilité à propos de « nombreux PDF inaccessibles qui pour différentes raisons ne peuvent pas être intégralement repris et corrigés », les trois documents d’audit successifs ne font nulle mention de cette dérogation pour charge disproportionnée.
Pour les pdf, l’onglet P12 de la grille d’évaluation de la conformité indique un code D pour dérogation, mais, contrairement aux exigences du RGAA, ne donne aucune justification pour cette dérogation.
La dérogation pour charge disproportionnée est invoquée dans l’onglet P05 pour un défaut d’accessibilité imputé à Drupal, mais là encore aucune justification n’est donnée à propos de la « charge disproportionnée ».
Par ailleurs, quand bien même il y aurait réellement eu une situation de charge disproportionnée, dans la mesure où le MTFP ne propose aucune alternative numérique accessible, l’évaluation de la conformité au RGAA faite dans le cadre de l’audit aurait dû prendre en compte l'application des critères correspondant du RGAA.
En effet, le RGAA précise : « À noter : si le contenu soumis à dérogation pour charge disproportionnée ne propose pas d’alternative numérique accessible, les critères concernant ce contenu sont considérés comme applicables. »
Utilisation d’un mauvais modèle de grille d’évaluation de la conformité
L’auditeur a utilisé un modèle de grille issu du RGAA 3 et non du RGAA 4. Il l’a certes adapté avec la liste des critères du RGAA 4, mais il a négligé l’importante précision donnée dans le mode d’emploi de la grille standard RGAA 4 à propos de la codification du recours au statut NA (non applicable) :
« NA : NON APPLICABLE. Ou bien aucun élément dans la page ne concerne le critère, ou bien le seul contenu qui concerne le critère est exempté, ou bien le seul contenu qui concerne le critère est soumis à dérogation et il propose une alternative numérique accessible. »
En contradiction avec cette règle essentielle de RGAA, l’auditeur a eu recours au statut NA alors même que le contenu prétendument dérogé ne comportait aucune alternative numérique accessible.
Au final, un taux de conformité sensiblement surévalué
Les erreurs mentionnées ci-dessus ont conduit à exclure indument de l’évaluation de la conformité divers contenus non accessibles.
Comme le montre la grille d’évaluation transformation.gouv ci-jointe, l'application correcte des dispositions du RGAA aux défauts relevés par l’auditeur aboutit à un taux de conformité de 85,94 % et non de 93,65 %.
Audits de conformité du site economie.gouv.fr
La page accessibilité du site economie.gouv.fr présentait au 5 juillet 2021 la particularité d’évoquer deux audits de conformité : l’un datant de 2016, l’autre de décembre 2020.
Audit de conformité de 2016
Cet audit a été réalisé par un prestataire externe.
Les documents communiqués par le MEFR sont les suivants :
- rapport d’audit de juin 2016 (pdf, 806 ko)
- échanges de courriels juin-juillet 2016 (pdf, 274 ko)
- échanges de courriels août-septembre 2016 (pdf, 373 ko)
L’audit a été mené en référence au RGAA 3 2016, mais la grille d’évaluation ne nous a pas été fournie.
L’absence de cette grille d’évaluation n’empêche pas de constater que cet audit est entaché de diverses erreurs qui lui ôtent toute fiabilité.
Le RGAA 3 2016 comportait en effet un « guide des dérogations » très précis.
Ce guide indiquait notamment :
« Cas général où la dérogation serait considérée comme abusive
Le simple fait d’utiliser un service extérieur ou une technologie limitée ne suffit pas pour déclarer une dérogation.
Par exemple, diffuser des vidéos en utilisant une plate-forme comme YouTube ne permet pas de déroger aux obligations d’une transcription produite en dehors de la plate-forme et du sous-titrage pris en charge par la plate-forme. En revanche, l’audiodescription peut être dérogée, s’il est considéré que la mise à disposition d’un lecteur alternatif nécessite un aménagement déraisonnable.
De même, le fait d’utiliser une technologie, par exemple une bibliothèque JavaScript ou un CMS, qui ne prendrait pas en charge certains dispositifs liés à l’accessibilité n’est pas un cas de dérogation. Dans ce cas, l’organisation devra trouver les moyens de pallier les insuffisances de la technologie ou de la plate-forme d’édition. »
Sans que l‘on sache s‘il s‘agit d‘un manque de connaissances ou d‘un choix délibéré de s‘affranchir des règles, on constate que l‘auditeur n‘a tenu aucun compte des dispositions de ce guide.
À propos des défauts d’accessibilité des cadres, il écrit :
« Si cela concerne des cadres fournis par des prestataires externes, il sera possible de les passer en dérogation. »
Ou encore à propos des titres de liens :
« Des titles de liens non pertinents dans le footer. Il faut identifier si il s'agit d'un oubli 'si c'est le cas les correctifs seront très simples), ou si c'est un défaut du CMS, auquel cas la encore il serait possible de faire une dérogation. »
De la même manière la mention relative au multimédia :
« La vidéo auditée n'est pas accessible et ne propose pas d'alternative accessible. Il sera nécessaire de s’appuyer sur la lourdeur des correctifs nécessaires pour placer ces éléments en dérogation. »
est révélatrice d’un non-respect total du RGAA 3 2016 puisque le critère 4.1 ne prévoyait une possibilité de dérogation que pour le cas particulier constitué par les vidéos utilisées à des fins décoratives, c'est-à-dire n’apportant aucune information.
En outre, la motivation donnée dans la déclaration d’accessibilité « Les vidéos n'ont pas d'audio description, sous-titres ou transcription textuelle. La cellule ayant en charge la mise en ligne de ces animations n'est pas en mesure actuellement de fournir ces éléments pour l'ensemble de ces vidéos » apparaît dénuée de sérieux puisque la transcription textuelle d’une vidéo de trois minutes est très facile à réaliser et ne nécessite guère plus d’une heure.
En raison de ces dérogations abusives, l’audit est dépourvu de fiabilité et le taux de conformité de 100 % est considérablement surévalué.
Audit de conformité de décembre 2020
Cet audit a été réalisé par un prestataire externe, différent de celui qui avait réalisé l'audit de 2016.
Les documents communiqués par le MEFR sont les suivants :
- rapport d’audit du 12 janvier 2021 (pdf, 2257 ko)
- grille d’évaluation de la conformité au RGAA d'economie.gouv (xlsx, 521 ko)
Cet audit est entaché de diverses erreurs qui lui ôtent toute fiabilité.
Confusion entre dérogation et exemption – erreur de référence
Sous l’intitulé « Contenus dérogés », l’auditeur écrit :
« La dérogation est un moyen d’exclure du champ d’application du référentiel des contenus particuliers. Les cas de dérogations sont très encadrés, vous en trouverez le détail dans le guide des dérogations. »
Alors que l’audit est censé porter sur la conformité au RGAA 4, l’auditeur fait de manière inexplicable référence au guide des dérogations du RGAA 3 2016.
Cela conduit l’auditeur à ne pas prendre en compte le fait que la notion de dérogation a considérablement évolué entre le RGAA 3 2016 et le RGAA 4.
Dans le RGAA 4, la seule dérogation invocable pour ne pas rendre accessible une fonctionnalité ou un contenu, c’est la dérogation pour charge disproportionnée.
Or l’audit invoque des dérogations pour des « contenus particuliers » qui sont en fait des « contenus de tiers »
Il est exact que, sous certaines conditions nettement précisées par le RGAA, certains contenus sont en dehors du champ de l’obligation légale d’accessibilité. Mais il s’agit dans ce cas de contenus exemptés, concept très différent de la dérogation pour charge disproportionnée.
Soustraction injustifiée de contenus tiers à l’évaluation de l’accessibilité
En l’occurrence, il ne s’agit pas d’une simple erreur de terme (dérogation à la place d’exemption) ; il s’agit d’une prise en compte totalement erronée de ce passage du RGAA relatif aux contenus exemptés :
« sont exemptés […] les contenus de tiers qui ne sont ni financés ni développés par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle »
Sous l’appellation erronée de « contenus dérogés », l’audit revendique une exemption pour divers éléments :
- « Les documents de bureautique fournis par des tiers (exemple : les contenus d'Augure)
- Le système "Picto access"
- Le tableau de bord virtuel (P16), développé par la DINUM
- Le chatbot (P12), porté par différentes administrations. »
Il faut bien prendre en compte tous les termes définissant l’exemption revendiquée par l’auditeur, notamment « ni financés […] par l’organisme concerné et qui ne sont pas sous son contrôle ».
L’examen des divers éléments cités montre qu’ils sont en fait tous sous le contrôle du MEFR :
- Une rapide recherche sur Internet montre que l’auteur du communiqué sur les stations de ski est un collaborateur du MEFR. Par ailleurs, Augure est un prestataire du MEFR. Le ministère a donc le plein contrôle sur ce contenu.
- Picto access, le tableau de bord développé par la DINUM (!) et le chatbot sont des composants que le MEFR a choisi d’utiliser alors qu’il aurait pu choisir ou développer des composants accessibles pour fournir les mêmes fonctionnalités.
À noter une incohérence entre la grille d’évaluation et le texte de l’audit : dans l’onglet P12 il a été considéré que, pour le critère 13.8, le chatbot était non conforme alors que le texte de l’audit indique que ce contenu est exclu du calcul de la conformité.
Il est également à souligner que, même si on s’était trouvé dans le cadre du RGAA 3, les contenus concernés n’auraient pas rempli les conditions pour justifier une dérogation.
Il est donc totalement injustifié que l’audit revendique une exemption pour ces composants ; ils doivent impérativement être réintégrés dans le champ de l’évaluation de la conformité au RGAA.
Utilisation d’un mauvais modèle de grille d’évaluation de la conformité
L’auditeur a utilisé un modèle de grille issu du RGAA 3 et non du RGAA 4. Il l’a certes adapté avec la liste des critères du RGAA 4, mais il a négligé l’importante précision donnée dans le mode d’emploi de la grille associée au RGAA 4 à propos du recours au statut NA (non applicable) :
« NA : NON APPLICABLE. Ou bien aucun élément dans la page ne concerne le critère, ou bien le seul contenu qui concerne le critère est exempté, ou bien le seul contenu qui concerne le critère est soumis à dérogation et il propose une alternative numérique accessible. »
En contradiction avec cette règle essentielle du RGAA, dans deux cas (onglets P2 et P8) l’auditeur a eu recours au statut NA alors même que le contenu prétendument dérogé ne comportait aucune alternative numérique accessible ; dans le cas de l’onglet P16, l’auditeur a eu recours au statut C.
Au final, un taux de conformité surévalué
Les erreurs mentionnées ci-dessus ont conduit à exclure indument de l’évaluation de la conformité divers contenus non accessibles.
Comme le montre la grille d’évaluation economie.gouv ci-jointe, l'application correcte des dispositions du RGAA aux défauts relevés par l’auditeur aboutit à un taux de conformité de 45,21 % et non de 46,58 %.
Des recommandations pertinentes non suivies par le MEFR
En page 9, l’audit daté du 12 janvier 2021 indiquait que le MEFR était tenu d’une part d’afficher « Accessibilité : non conforme » en page d’accueil, d’autre part de publier une déclaration d’accessibilité conforme au RGAA 4.
Le MEFR n’a pas suivi ces recommandations puisque, le 23 mars 2021, la page d’accueil mentionnait toujours « Accessibilité : totalement conforme ».
Ce n’est qu’après notre envoi du 24 mars signalant le caractère trompeur de cette mention que le MEFR a inscrit « Accessibilité : non conforme ». En revanche, malgré la recommandation de l’audit et notre demande du 24 mars, le 5 juillet 2021, le MEFR n’avait toujours pas publié de déclaration d’accessibilité.
Audit de conformité du site ccomptes.fr
Cet audit a été réalisé par un prestataire externe.
Les documents communiqués par la Cour des comptes sont les suivants :
- relevé des non‑conformités du 2 juillet 2019 (docx - 56 ko)
- relevé des dérogations du 2 juillet 2019 (docx 27 ko)
- relevé des non‑conformités du 6 novembre 2019 (après contre-visite) (docx - 34 ko)
- relevé des dérogations du 6 novembre 2019 (après contre-visite) (doc - 44 ko)
- relevé des non‑conformités du 25 novembre 2019 (visite supplémentaire) (docx - 31 ko)
- avis d’attribution du label e‑accessible du 10 février 2020 (docx - 12 ko)
- grille d’évaluation de la conformité au RGAA 3 (xlsx - 716 ko)
Il est à noter que cet audit a été réalisé dans le cadre du processus de labellisation RGAA 3 mis en place par la DINUM.
Aujourd’hui le site de la DINUM ne fournit plus aucune information relative à ce label devenu sans intérêt du fait que le RGAA 3 est caduc.
En revanche, le site de la société Access42 donne une description du label e‑accessible et de ses conditions d’attribution.
De manière logique, la Cour des comptes s’est servie des résultats de cet audit pour faire sa déclaration de conformité au RGAA 3 2017.
Cet audit est entaché de diverses erreurs qui lui ôtent toute fiabilité.
Échantillon non représentatif
Le guide d’accompagnement du RGAA 3 2017 précise que, parmi les pages sur lesquelles doit porter la déclaration de conformité, doivent figurer des « Pages représentatives des types de contenus disponibles sur le site ».
Si l’on observe le site ccomptes.fr, on constate que par rapport à la plupart des sites publics ou privés, il présente une particularité de taille : à plus de 90 % l’information mise en ligne est constituée de documents de type rapport au format pdf.
La Cour des comptes produit environ 1 200 observations définitives et communications par an. En 2020, d’après ccomptes.fr il y a eu plus de 855 000 téléchargements de rapports.
Or l’échantillon de seize pages retenu par l’auditeur pour évaluer la conformité au RGAA 3 2017 ne comporte aucun rapport pdf en téléchargement. Le seul pdf évoqué incidemment dans l’audit était la plaquette institutionnelle.
Au-delà de l’absence des rapports au format pdf, l’échantillon se caractérise aussi par l’absence de pages tout à fait représentatives du contenu du site, par exemple les pages relatives aux rapports publics annuels de la Cour.
L’échantillon ainsi constitué présente donc le grave défaut de n’être absolument pas représentatif du contenu du site.
Exclusion injustifiée des pdf de l’évaluation de la conformité
À propos des pdf, l’auditeur écrit dans la liste des non‑conformités du 8 juillet 2019 :
« Dérogation prise en compte.
Pour rappel, le RGAA (dans sa version 3 et 4) accorde automatiquement une dérogation pour les grands volumes de PDF mis à disposition sur un site web, ce qui est le cas de la Cour des comptes.
Il n'y a donc pas d'obligation de rendre accessibles les anciens PDF, mais il faut se tenir à disposition des utilisateurs pour leur donner les informations qui y sont contenues dans un format accessible (fichier Word structuré par exemple) à leur demande.
En revanche, il y a obligation de fournir une alternative à tous les nouveaux PDF : soit en rendant les fichiers PDF eux-mêmes accessibles, soit en fournissant une alternative au format Word ou HTML structuré reprenant les mêmes informations que le fichier PDF concerné.
La mise en accessibilité de l’ensemble de ces documents déjà disponibles représenterait un travail très conséquent.
Par conséquent, la Cour des comptes proposera une version accessible, si elle est disponible, de ces documents sur demande. »
Toujours à propos des pdf, dans le relevé des dérogations, l’auditeur écrit :
« La mise en accessibilité de l’ensemble de ces documents déjà disponibles représenterait un travail très conséquent.
Par conséquent, la Cour des comptes proposera une version accessible, si elle est disponible, de ces documents sur demande. »
Ces écrits sont révélateurs soit d’une mauvaise compréhension des dispositions exactes du RGAA 3 2017.
En effet, le recours aux dérogations est strictement encadré par le guide d’accompagnement du RGAA 3 2017.
Celui-ci comporte le très précis paragraphe 4.2.6.2.2 qui indique que les documents bureautiques récents doivent être accessibles :
« Contenus en téléchargement en nombre important
Il peut être excessivement coûteux et donc déraisonnable de mettre en conformité un nombre important d’archives en téléchargement, au-delà des contenus listés dans la section précédente.
Dans ce cas, une dérogation peut être faite pour les documents de plus de 2 ans. Cela ne vaut pas pour la production de nouveaux documents. »
La règle est claire : les pdf de plus de deux ans (au moment de la réalisation de l’audit) peuvent bénéficier d’une dérogation, mais celle-ci ne s’applique absolument pas aux pdf de moins de deux ans.
Ce même guide d’accompagnement comporte également une autre disposition très importante que l’auditeur méconnaît totalement :
« Lorsqu’il s’agit d’un contenu ou d’une fonctionnalité essentielle dans le cadre du site ou de l’application Web, il ne peut y avoir de dérogation sans une alternative sophistiquée permettant d’apporter le même niveau d’information à l’utilisateur. »
Or, comme le rappelle la page d’accueil de ccomptes.fr, l’objectif affiché par la Cour des comptes est « S'assurer du bon emploi de l'argent public, en informer les citoyens ».
La mise à disposition des rapports de la Cour des comptes, tous fournis au format pdf, constitue bien une fonctionnalité essentielle du site. Comme aucune alternative sophistiquée n’est proposée, la dérogation est impossible.
Bien que l’évaluation de conformité se fasse par rapport au RGAA 3 2017, l’auditeur a jugé utile d’évoquer le RGAA 4 en disant qu’il « accorde automatiquement une dérogation pour les grands volumes de PDF mis à disposition sur un site web ».
Là encore l’auditeur fait erreur :
- d’une part, il emploie le terme de dérogation pour exclure automatiquement les pdf de l’évaluation de conformité alors que dans le RGAA 4 la terminologie a évolué et il s’agit désormais d’exemptions et non de dérogations ;
- d’autre part, l’exemption applicable aux fichiers bureautiques, donc aux pdf, ne concerne que ceux publiés avant le 23 septembre 2018 et ne concerne donc nullement les pdf postérieurs à cette date.
Le RGAA 4 a introduit la notion de dérogation pour charge disproportionnée qui n’existait pas précédemment. Mais, comme cela a été signalé à la Cour des comptes :
- d’une part, si la mise en accessibilité des pdf récents représente certes une charge significative, il ne s’agit nullement d’une charge disproportionnée pour la Cour des comptes ;
- d’autre part, quand bien même il y aurait réellement eu charge disproportionnée, dans la mesure où les pdf ne sont pas accompagnés d’une alternative accessible, le critère 13.3 du RGAA 4 relatif à l’accessibilité des documents bureautiques serait applicable et donc non respecté.
Défauts d’accessibilité non pris en compte
Du fait de l’insuffisante représentativité de l’échantillon, certains défauts d’accessibilité n’ont pas été relevés dans l’audit.
Ainsi, pour le rapport public annuel 2019, le plus récemment mis en ligne lors de l’audit, le critère 9.1 relatif à la structuration à l'aide de titres n’est absolument pas respecté puisque, contrairement à l'exigence de pertinence du test 9.1.2, la hiérarchie débute avec un titre h2 suivi d’un titre h1. Ce défaut se retrouve sur d’autres pages.
La page Communauté de Communes La Châtre et Sainte-Sévère n’offre en certains endroits qu’un contraste de 2,2 entre le texte blanc et le fond bleu clair alors que le RGAA exige un minimum de 4,5 pour le texte normal et de 3,0 pour les gros caractères.
Il s’agit là d’un non-respect du critère 3.3 du RGAA.
En outre, cette page est totalement dépourvue de titres.
Taux de conformité surévalué
C’est en raison des multiples non-respects du RGAA 3 2017 par l’audit (échantillon non représentatif, exclusion injustifiée des pdf) que le taux de conformité de 100 % a été obtenu.
Une évaluation menée conformément aux exigences du RGAA aurait mécaniquement abouti à une détection des non‑conformités et à un taux de conformité inférieur à 100 %.
L’attribution du niveau 5 de label e‑accessible exigeait de respecter tous les critères RGAA niveaux simple A et double A (AA) et un critère de niveau triple A (AAA) au moins. Cette exigence n’est absolument pas remplie.
L’attribution du label e‑accessible niveau 5 était donc totalement injustifiée.
Compte tenu du fait que les critères 9.1 (structuration par l’utilisation appropriée de titres) et 13.7 (accessibilité des documents bureautiques) du RGAA ne sont pas respectés, le site ne pouvait même pas prétendre au niveau 2 du label e‑accessible qui nécessite que tous les critères de niveau simple A soient respectés.
Absence de réaction des organismes concernés
D’une part nous avons signalé aux organismes concernés les erreurs dont étaient entachés leurs audits, d’autre part nous les avons informés du fait qu’ils étaient tenus, en application de l’article L312-1-1 du code des relations entre le public et l'administration, de publier en ligne les audits qu’ils nous avaient communiqués.
Au 6 juillet 2021, ils n’avaient absolument pas réagi.
Auteur : Christian VOLLE
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