Accessibilité numérique - Des institutions prestigieuses hors-la-loi - Cas 2 et 3 : Conseil d’État - Cour des comptes

L'essentiel

Partie supérieure de l’image : accessibilité numérique. Partie centrale : logos du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour des comptes. Partie inférieure : tous hors-la-loi !
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  • Il existe en France diverses institutions prestigieuses qui, dans leurs domaines respectifs, ont pour mission de veiller à la bonne application de la loi. On pourrait donc s’attendre de leur part à une conduite exemplaire passant par une stricte observance de toutes les lois. Ce n’est malheureusement pas le cas en ce qui concerne l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 relatif à l‘accessibilité des services de communication au public en ligne. Dans un premier article, nous avions rappelé les textes applicables et exposé le cas du Conseil constitutionnel. Le présent article expose les cas du Conseil d’État et de la Cour des comptes et conclut sur la nécessité d’une action énergique de la part des pouvoirs publics.

Conseil d’État

Le Conseil d’État communique notamment via le site conseil-etat.fr, mais aussi via les publications faites sur les réseaux sociaux, par exemple depuis @Conseil_Etat (Twitter), Conseil d’État (LinkedIn).

Dès juin 2017 nous avions attiré l’attention du Conseil d’État sur divers défauts d’accessibilité du site conseil-etat.fr et des publications faites depuis le compte Twitter @Conseil_Etat.

Signalement effectué en octobre 2020

Le 8 octobre 2020, nous avons fait un nouvel envoi au Conseil d’État portant aussi bien sur les défauts d’accessibilité du site et des publications que sur Twitter que sur le non-respect des obligations déclaratives relatives à l’accessibilité.

Défauts d’accessibilité du site conseil-etat.fr relevés en octobre 2020

Tout en précisant qu’il ne s’agissait pas d’un relevé exhaustif des défauts pour lequel un véritable audit était nécessaire, nous avions signalé les points suivants :

  • carte interactive totalement inaccessible et dépourvue d’alternative ;
  • contrastes de couleurs insuffisants ;
  • documents bureautiques non accessibles ;
  • structuration insuffisante de l’information (critère 9.1 du RGAA).

Défauts d’accessibilité des tweets de @Conseil_Etat relevés en octobre 2020

Les images accompagnant les tweets étaient systématiquement dépourvues d’alternative textuelle.

Par ailleurs, dans plusieurs cas, les contrastes de couleurs étaient insuffisants.

Manquements aux obligations déclaratives en matière d’accessibilité (octobre 2020)

En octobre 2020, le site était doté d’une page accessibilité. Mais celle-ci faisait référence au « référentiel général d’accessibilité des administrations » alors que le référentiel général d'amélioration de l'accessibilité avait été publié en septembre 2019.

Par ailleurs, cette page accessibilité ne respectait aucune des obligations imposées par le RGAA :

  • pas de déclaration d’accessibilité ;
  • pas de schéma pluriannuel de mise en accessibilité ;
  • pas de plan annuel.

En outre la page d’accueil ne comportait pas la mention obligatoire relative au niveau de conformité du site.

Situation début mai 2022

Accessibilité des contenus – points résolus

Sur le site conseil-etat.fr, quelques améliorations sont intervenues : 

Depuis septembre 2021, les images des tweets de @Conseil_Etat sont en général dotées d’une alternative textuelle.

Accessibilité des contenus – persistance de défauts

En octobre 2020, l’insuffisance de contraste entre texte gris clair et fond vert avait été signalée. En septembre 2021, le gris clair a été remplacé par du blanc, mais le contraste est toujours très insuffisant sur la page Toutes les études du Conseil d'État : 2,1.

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Il est à noter que sur toutes les pages le site conseil-etat.fr propose une « version contrastée ». Curieusement, lorsque l’on active cette option le contraste apparait plutôt moins bon ; dans certaines conditions, l’activation de cette option rend même invisible le logo du Conseil d’État sur lequel on doit cliquer pour retourner en page d’accueil. En tout cas, l’activation de cette option est sans effet sur le défaut signalé ci-dessus.

Le rapport public 2020 a été publié en juin 2021. C’est un document pdf de 408 pages qui comporte toujours divers défauts d’accessibilité :

  • il n’est pas balisé ;
  • les illustrations n’ont pas de texte de remplacement ;
  • les contrastes de couleurs sont insuffisants.

Le critère 8.6 du RGAA prévoit que les titres de page doivent être pertinents. 

Le site conseil-etat.fr ne respecte pas ce critère, puisque les titres sont du type « Accueil » ou « Organisation » au lieu de « Accueil - Conseil d’État » et « Organisation - Conseil d’État ».

Comme indiqué plus haut, les images publiées sur Twitter font désormais l’objet de l’ajout d’une alternative textuelle. Mais dans certains cas, cette alternative textuelle n’a pas la pertinence requise.

Ainsi, le 16 avril 2022, le Conseil d’État a publié un tweet relatif au recrutement d’auditeurs et d’auditrices au Conseil d’État.

Tweet du Conseil d’État avec une image contenant la photo et une citation d’un maître des requêtes. Le texte complet de l’image est : « Au Conseil d’État, on doit prendre position, participer à la décision collective. J’ai la conviction que l’on résoud les problèmes les plus complexes quand toutes les opinions s’expriment. Thomas Janicot, maître des requêtes au Conseil d'État. »

Au lieu de reprendre ces informations, la description de l’image fournie par le Conseil d’État est seulement « Photographie et citation de Thomas Janicot, maître des requêtes au Conseil d'État ».

Bien que cela n’ait pas été une volonté de la part de l’auteur du tweet, cette manière de procéder aboutit à une discrimination des personnes déficientes visuelles, privées de la majeure partie de l’information portée par l’image.

Les obligations déclaratives ne sont toujours pas respectées

Début mai 2022, les manquements sont toujours les mêmes :

  • pas de mention du niveau d’accessibilité en page d’accueil ;
  • pas de déclaration d’accessibilité ;
  • pas de schéma pluriannuel de mise en accessibilité ;
  • pas de plan annuel.

Cour des comptes

La Cour des comptes communique notamment via le site ccomptes.fr mais aussi via les publications faites sur les réseaux sociaux, par exemple depuis @Courdescomptes (Twitter), Cour des comptes (Facebook), Cour des comptes (LinkedIn).

Le site ccomptes.fr se caractérise par le fait que, à plus de 90 %, l’information mise en ligne est constituée des rapports produits par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes (plus de 800 par an).

La plupart de ces rapports sont des documents au format pdf.

Signalements effectués entre décembre 2020 et juin 2021

Entre décembre 2020 et juin 2021, nous avons eu divers échanges avec la Cour des comptes à propos de ce que nous considérions être un non-respect de la réglementation relative à l’accessibilité numérique.

Défauts d’accessibilité du site ccomptes.fr

En décembre 2020, nous avions signalé des défauts concernant :

Défauts d’accessibilité des publications faites sur les réseaux sociaux

En décembre 2020, les images publiées sur Twitter, Facebook et LinkedIn étaient systématiquement dépourvues d’alternative textuelle.

À la suite de notre signalement, à partir de février 2021, la plupart des images jointes aux tweets de @Courdescomptes ont été dotées d’une alternative textuelle

Manquements aux obligations déclaratives en matière d’accessibilité numérique

En décembre 2020, les points suivants ont été relevés :

  • absence en page d’accueil de la mention de l’état d’accessibilité ;
  • absence de schéma pluriannuel de mise en accessibilité ;
  • absence de plan d’action de l’année en cours.

Le site comportait une page « ccomptes.fr titulaire du niveau 5 du label e‑accessible » alléguant un taux de conformité au RGAA 3 2017 de 100 %.
Comme nous l’avons fait remarquer à la Cour des comptes, ce taux non conforme à la réalité n’avait pu être obtenu que grâce à une exclusion indue des pdf du champ de l’évaluation et une non-détection des défauts signalés ci-dessus, relatifs aux contrastes et à la structuration des pages.

Signalement effectué en décembre 2021

En septembre 2021, la Cour des comptes a mis à jour sa page accessibilité et a publié une déclaration d’accessibilité fondée sur un audit daté du 14 septembre 2021.
Cette nouvelle déclaration d’accessibilité constituait une évolution très positive par rapport à la situation antérieure puisque l’audit sur lequel elle se fondait prenait en compte plusieurs des observations que nous avions formulées précédemment :

  • la représentativité de l’échantillon est améliorée puisque celui-ci comporte une page telle que celle relative au rapport public annuel 2021 ;
  • la non‑conformité des pdf a été constatée ;
  • les hiérarchies de titres non pertinentes ont été détectées ;
  • les contrastes de couleurs insuffisants ont été relevés ;
  • le taux de conformité est ramené à 63,95 %.

La Cour des comptes avait également mis en ligne une version Word accessible du rapport public annuel 2021. L’ajout de description pour les images constitue un progrès pour les utilisateurs de lecteur d’écran. En revanche, ce document Word comporte toujours des contrastes de couleurs insuffisants, inadaptés aux personnes malvoyantes.

En décembre 2021 nous avons envoyé à la Cour des comptes un courriel qui relevait les évolutions positives, mais qui pointait la subsistance de deux très importants problèmes :

  • l’absence de schéma pluriannuel de mise en accessibilité alors que la publication aurait dû intervenir au plus tard le 23 septembre 2020 ;
  • la poursuite de la mise en ligne de rapports pdf non accessibles.

Les deux problèmes sont d’ailleurs liés puisque, compte tenu des caractéristiques du site ccomptes.fr, l’essentiel du schéma pluriannuel de mise en accessibilité doit porter sur les actions à mener pour produire des pdf accessibles.

Accessoirement, nous avions signalé que la déclaration d’accessibilité n’était pas datée, ce qui n’est pas conforme au RGAA.

Situation début mai 2022

Début mai 2022, la Cour des comptes n’a toujours pas publié de schéma pluriannuel de mise en accessibilité et la page accessibilité n’indique même pas à quelle date cette publication est envisagée.

S’agissant des contenus, aucun progrès n’a été constaté concernant les rapports au format pdf : ceux-ci continuent à souffrir de multiples défauts d’accessibilité.

Ainsi, le rapport public annuel 2022 et sa synthèse se caractérisent par :

  • une absence de signets ;
  • des images non décrites ;
  • des contrastes de couleurs insuffisants.

Pire, on peut même considérer que la situation s’est aggravée puisque, à la différence de 2020 et 2021, la Cour des comptes n’a pas fait l’effort de mettre en ligne une version Word accessible de ce rapport public annuel qui constitue sa production la plus emblématique.
En outre, la Cour des comptes a mis en ligne une version html de la synthèse du rapport annuel 2022 qui présente elle aussi de multiples défauts d’accessibilité : titre inadapté, absence de titres hn, mauvais contrastes de couleurs…
Mais le problème ne se limite pas là : la page a une taille gigantesque. Avec Chrome, l’occupation mémoire est de 2 Go, avec Edge de 1,9 Go, mais on peut se déplacer dans la page. Avec Firefox l’occupation mémoire n’est « que » de 1,5 Go, mais on ne peut pas se déplacer dans la page.

Le stock de contenus inaccessibles de ccomptes.fr ne fait donc que s’accroître et aucune perspective d’amélioration n’est perceptible.

Une action énergique des pouvoirs publics s’impose

En résumé, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour des comptes agissent en violation de la loi du 11 février 2005 que ce soit pour l’accessibilité de leurs contenus ou pour le respect des obligations déclaratives.

Ce comportement hors-la-loi de trois des institutions françaises les plus prestigieuses est révélateur du peu d’attention que la société française en général et les pouvoirs publics en particulier accordent à l’accessibilité numérique. 

Même s’il est perfectible, le RGAA associé à la loi de 2005 constitue une base technique solide pour l’accessibilité des services de communication au public en ligne (sites Web, publications sur les réseaux sociaux…).

Ce qui pèche c’est :

  • d’une part, que le dispositif mise en place pour obliger les organismes à se conformer à ce référentiel est insuffisant ; en effet seuls sont sanctionnables les défauts de respects des obligations déclaratives, les défauts d’accessibilité eux-mêmes n’étant pas sanctionnables ;
  • d’autre part, que le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées censé sanctionner le non-respect des obligations déclaratives est totalement défaillant : lui-même viole la loi puisqu’il n’a pas publié de schéma pluriannuel de mise en accessibilité et il n’a donc aucune crédibilité en la matière.

Une action énergique des pouvoirs publics s’impose donc. Elle doit être menée en prenant en compte les propositions formulées par l’association Valentin Haüy dans son plaidoyer pour l’accessibilité numérique. 

Les mesures suivantes sont notamment indispensables :

  • mettre en place une autorité de contrôle et de sanction dotée de moyens pour agir ;
  • durcir les sanctions encourues pour non-respect des obligations déclaratives ;
  • sanctionner de manière spécifique le défaut d’accessibilité numérique.

Auteur : Christian VOLLE

Vous pouvez réagir à cet article en envoyant un courriel à accessibilitenumerique@avh.asso.fr

Suivez le pôle accessibilité numérique de l’association Valentin Haüy sur Twitter : @accnumVH